« Je ne te blâme pas, Seigneur. Je sais bien qu’en ces temps troublés, c’est pas évident tous les jours, même pour Toi. Peut-être que T’es comme nous et que T’y crois plus tellement, malgré tout ce qu’on raconte. T’as sûrement envie de tout passer au sable et de recommencer à zéro. Je suis pas obtus, je peux comprendre… Seigneur, quand je T’aurai rejoint au Ciel, et que le moment sera venu de faire mon addition, j’espère que Tu tiendras compte des efforts que j’ai faits pour essayer d’éduquer ce dégénéré d’Angel et l’ouvrir à Ta lumière. »
Parmi les nombreuses nouveautés de la rentrée en figure une qui ressort particulièrement de la masse. Sur un scénario de Wilfrid Lupano, le jeune dessinateur Mako produit son premier album et offre d’entrée un style graphique reconnaissable. La rencontre que nous vous proposons avec ces deux auteurs s’avère aussi délirante que leur nouvelle série. Nous en tenons la promesse!
Chronique du Tome 1
Retrouvez des extraits de l’album à la fin de l’interview.
Bulle d’Encre : Bonjour messieurs ! Voilà une BD bien originale que vous nous offrez. Etait-ce une volonté de sortir des sentiers battus ?
Wilfrid Lupano : Merci, merci, nous n’avons fait que notre devoir… Pour l’originalité, on n’a pas vraiment essayé de « faire original », c’est venu comme ça, c’est juste l’expression d’un goût commun pour ce qu’on pourrait appeler le « trashi-comics », qui est du reste très présent dans le trait de Mako.
Mako : Voilà. Will résume bien. Quand on a commencé à discuter scénar, il m’a dit : « Tiens, j’ai sous le coude l’histoire d’un prêtre qui prêche en dézinguant des mutants à tour de bras. » Le tout étant arrosé d’humour noir, j’ai dit banco ! De la déconne et de la baston… tout ce que j’aime !
BDE : Autant le scénario que le dessin sont peu communs. Comment avez-vous fait tous les deux pour renforcer ce caractère ?
WL : On a avant tout cherché à s’amuser, et à divertir les lecteurs qui aiment être déroutés de temps en temps. Nous, on aime bien ça, se sentir un peu perdu dans la proposition d’un auteur. On a donc supposé qu’on était pas les seuls… Ho hé ! Y a quelqu’un ?
M : Mais nan, on n’est pas tout seuls Will ! Ma mère l’a acheté. On a un public, mec ! Wouhouu ! (Comment ça, ça compte pas ?)
BDE : Ce choix risquait de diviser les lecteurs et cela semble être le cas. Le risque était-il calculé ? Que diriez-vous à ceux qui hésitent encore à plonger dans votre univers ?
M : On ne peut pas savoir ce genre de choses à l’avance je pense, d’autant plus avec un premier album (dans mon cas). Donc déjà, j’me suis fait plaisir, et maintenant j’espère que les gens prendront autant de plaisir que j’en ai eu en bossant sur cet album.
WL : Oui, ça paraît difficile de calculer un risque pareil. Disons plutôt qu’on est à l’aise avec l’idée que cette série ne peut pas forcément plaire à tout le monde. Et puis j’aime bien me dire que lorsqu’on fait l’unanimité, c’est qu’on a rien dit de nouveau… On peut reprocher plein de choses à Corpus Crispies, mais on peut pas nous reprocher le conformisme, c’est déjà ça… C’est une vraie et sincère proposition d’auteurs.
Donc à ceux qui hésitent encore, je dirai : « Corpus Crispies, c’est comme le tord-boyau de mon grand-père, les beignets de cervelle ou les dragées au piment : c’est humain d’avoir une appréhension au début, mais ce serait dommage de passer à côté. »
BDE : Vous connaissiez-vous avant de travailler sur cet album ?
WL : Non, nous avons été présentés par Morgann, un p’tit gars bien sous tous rapports, avec qui je fais d’ailleurs L’Ivresse des fantômes chez Delcourt, et dont le tome 2 sort en janvier prochain.
M : Ouais, il assure grave le Morgann !
BDE : Frère Bruno est pour moi un des personnages les plus savoureux que j’ai pu voir ces derniers temps. Avez-vous fait un effort spécial pour ce personnage ? Imaginiez-vous dès le début son potentiel ?
WL : Merci pour lui ! Oui, il est la pierre-origine du scénario, autour de laquelle j’ai bâti tout le reste. Frère Bruno a deux pères spirituels: Lobo et Don Camillo… Ceci dit, je l’ai assez peu décrit, hormis sa corpulence, et c’est Mako qui l’a fait exister.
M : Pas spécialement en fait. Bruno est assez vite venu… C’est vrai que Will m’a bien laissé libre au niveau graphique, mais en même temps sa description du caractère de Bruno m’a tout de suite donné l’image de ce à quoi il pourrait ressembler.
BDE : Malgré sa grande originalité, y a-t-il des influences qui ont guidé la création de la série ?
WL : Personnellement, j’aime bien me dire que Corpus Crispies peut se rapprocher entre autres de Lobo (de Grant et Bisley) ou de La Fille du Bourreau (de Val et Bobillo). Je suis aussi très sensible au travail de Dupontel, même si le rapport paraît moins évident…
M : J’y ajouterai les héros losers de Way of the Gun, pour le coté « on veut faire des choses mais de toute façon vu comme on est nazes ça va se planter » (un jour tu reverras ton dvd, Will…), et un perso que j’aimais bien étant môme, le Preacher du jeu Chaos Engine, des Bitmap Brothers sur Atari ST, pour la façon « j’aime absoudre les gens à coups de bastos »…
BDE : D’où est venue l’idée délirante des hosties au bacon ?
WL : D’une discussion stupide avec Mako sur les dérives possibles que nous pourrions prendre comme exemple pour illustrer notre civilisation « christrash » post-libéralisme. L’idée n’est pas si bête, et on songe d’ailleurs à lancer nous-même ce produit sur le marché de la grande distribution. Des prototypes très satisfaisants ont été réalisés, mais la commercialisation est bloquée, car le Vatican réclame des droits sur la vente du corps du Christ, ce qui est insupportable, car le Christ est à tout le monde…
M : Ouais, d’ailleurs les Corpus Crispies goûts chili et kebab seront bientôt dans toutes les bonnes épiceries !
BDE : Wilfrid, cette histoire est assez éloignée de tes autres œuvres. As-tu pris celle-ci comme une sorte de récréation où tout t’était permis ?
WL : Pas vraiment, car la masse de travail est la même. L’art difficile du trashi-comique, c’est de donner l’apparence du n’importe quoi sans faire n’importe quoi. C’est ce délirer avec rigueur, quoi…
M : Yep, parce que la limite entre « pfff.. n’importe quoi ce truc » et « hahaha n’importe quoi ! » est vite franchie.
BDE : Mako, c’est ton premier album et on remarque déjà ton dessin particulier et unique. Quelle est ta technique et quelles sont tes influences ?
M : Ha bé merci, ça touche, mais je ne pense pas que ce soit si unique que ça. J’ai forcément beaucoup d’influences, vu le nombre de styles existants. Que ce soit jap, euro ou ricain d’ailleurs. Pour Corpus Crispies, j’ai adopté une manière de travailler plus typé anim on va dire, avec des persos en aplats et des décors plus chiadés. Niveau technique, je commence en crayonné que je nettoie par la suite à la tablette lumineuse. Ensuite, je travaille la couleur avec Photoshop. Pour les décors, ça se rapproche plus de la peinture au final puisque je passe sur mon trait. Par contre, pour les persos, je le garde (le trait) pour garder de la pêche et du mouvement. Il est juste coloré. Sinon pour les influences, qu’elles se ressentent ou pas, j’en citerai quelques-unes telles que Wood, Ramos, Hale, Fernandez, et les anims comme FLCL ou Dead Lives, l’auteur d’Amer Béton. Et puis Otomo, Toriyama, Blackfrog, Peeters, pfff… enfin bon y en a plein quoi !
BDE : Combien de tomes sont prévus ? Où en êtes-vous de la suite ? Peut-on déjà avoir des révélations sur l’avenir de Bruno ?
WL : On ne se limite pas vraiment pour l’instant, même si l’histoire initiée dans le tome 1 trouvera sa conclusion dans le tome 2.
M : Bon si, on peut le dire quand même, l’histoire continue sur 30 cycles. Les deux premiers sont déjà écrits et s’intitulent Père Bruno des Etoiles et Les Chroniques de Père Bruno. Ouais, désolé Will, j’ai spoilé… J’espère qu’on nous piquera pas le concept !
BDE : Pourriez-vous travailler ensemble dans un tout autre registre ?
WL : Non seulement on pourrait, mais on y travaille déjà !
M : Yep, du tout neuf : l’histoire d’un prêtre dans un monde médiéval qui dézinguerait des mutants…
BDE : Pour finir, sur quelle(s) série(s) auriez-vous rêvé de travailler ?
WL : J’aimerais écrire un cross-over : Lobo et le frère Bruno se battraient en duel pour emporter le cœur de Sœur Marie-Thérèse des Batignolles…
M : De toute façon, Bruno, tous les héros d’où qu’ils viennent, il les prend tous en même temps… avec une main dans le dos et un kebab dans l’autre !
BDE : Merci à vous deux.
Propos recueillis par Arnaud Gueury.
Interview réalisée le 17 septembre 2007.
Retrouvez plus d’infos sur les travaux de Mako sur son site et son blog.
© MC Productions/Lupano/Mako
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