« Blork ! Croc ! GAME OVER… »
Alors que nous vous présentons deux semaines consacrées à la série Game Over, il était temps de revenir sur une interview de son créateur, Midam, réalisée à l’occasion du festival d’Angoulême. Entre de nombreuses séances de dédicaces où les lecteurs étaient venus en très grand nombre sur un stand MAD Fabrik que l’on voyait de loin grâce à son Blork en cage, l’auteur belge est revenu pour nous sur sa nouvelle expérience d’éditeur, ses attentes et les projets qu’il mène avec ses collaborateurs.
Chronique de Game Over Tome 6
Retrouvez un extrait du Tome 6 de Game Over et la couverture de Kid Paddle T12 en fin d’interview.
Bulle d’Encre : Bonjour ! Voilà maintenant quelques mois que vous avez créé MAD Fabrik, votre propre maison d’édition. Pouvez-vous déjà tirer un bilan de cette nouvelle expérience ?
Midam : Non, c’est un peu tôt. Il faut se donner trois ans pour vraiment pouvoir tirer des conclusions et comparer des graphiques. Après quinze ans passés chez Dupuis, ce n’est pas en un an que je peux savoir. Il faut déjà comparer ce qui est comparable. N’ayant pas encore sorti un album de Kid Paddle – le Tome 12 sortira en septembre – on attend pour voir.
BDE : Ce sera un test ?
M : Le premier vrai test a été le Tome 5 de Game Over. On en a été très content parce que le Tome 4 n’avait pas été dans les meilleures ventes, et ça nous avait frustrés. Alors que le 5 y a été. Je crois qu’on a vendu en quatre mois ce que le précédent a vendu en un an environ.
BDE : Le public reste de toute façon fidèle.
M : Oui, il y a un public, mais il faut le ménager. Il ne faut pas trop produire, il faut faire des choses de qualité et surtout ne pas se faire oublier par les lecteurs. C’est une chimie.
BDE : Avec votre propre structure, vous avez votre liberté mais aussi une pression et un travail différents à gérer. Comptez-vous sur votre lectorat d’habitués ?
M : On sait que les fans restent, mais il y a aussi une photographie économique à prendre en compte. J’ai l’impression que les statistiques sont assez vraies dans le sens où on vend la même chose que les autres années, toutes BD confondues, mais il y a plus d’albums. Les blockbusters vendent donc un peu moins au profit de bandes dessinées plus confidentielles. C’était aussi tout l’intérêt de créer MAD Fabrik et de m’auto-éditer, pour pouvoir taper sur le clou avec un marteau de haute-précision, puisqu’un éditeur lambda va devoir taper sur 20, 30 ou 50 clous en même temps.
BDE : Jusque-là, avez-vous réussi à réaliser vos premières envies d’éditeur ? Pas de mauvaises surprises ?
M : Non. Je suis adepte de dire que le temps est élastique. Si on m’avait dit, il y a dix ans, « tu vas faire un Kid Paddle, un Game Over, t’auto-éditer et plancher sur plein de projets, les produits dérivés, etc. », j’aurais dit que c’était impossible au niveau du temps. Et puis je me suis rendu compte qu’il y avait moyen d’organiser son temps de manière intelligente, de façon à être actif et productif immédiatement.
BDE : Ça demande une organisation impeccable.
M : Il ne faut aucun déchet. Il y en a, mais je les garde pour moi. En plus, je n’ai pas l’impression de travailler beaucoup. Par rapport à des Franquin ou des Uderzo, qui étaient presque « anormaux »… Ou Morris. J’ai écrit un truc il n’y a pas longtemps, je me suis rendu compte que le plus courant pour lui c’était deux albums par an, plus rarement trois, et de temps en temps il en faisait quatre. Et pas à la fin de sa vie, plutôt en pleine heure de gloire avec Goscinny. Aligner quatre albums dans l’année, c’est absolument invraisemblable ! Au niveau du travail et au niveau économique. Aujourd’hui, tout le monde refuserait de le faire en disant que ça tuerait la série. Pour Astérix, c’était un peu pareil, avec deux albums par an.
BDE : Ce qui n’en gâchait pas la qualité.
M : Tout le monde connait l’image du bocal qu’on remplit de cailloux. Quand ça arrive au bord, on se rend compte qu’on peut mettre du gravier pour remplir les interstices. Puis on met du sable, et ça continue à se remplir. Quand c’est complètement plein, on peut encore ajouter de l’eau… Pour moi, le temps de travail fonctionne de cette manière.
BDE : Il faut aussi bien s’entourer ?
M : Ah oui ! C’est clair que je ne l’aurais pas fait sans ma femme et Dimitri (NDR : Kennes, ex-directeur général de Dupuis). Ni l’un ni l’autre, je pense.
BDE : Malgré la locomotive Kid Paddle, n’était-ce pas un risque de se lancer à nouveau de zéro ?
M : Si, bien sûr. C’est parce que la série a bien marché ces quinze dernières années que j’ai pu avancer un peu d’argent. D’ailleurs, ça ne m’intéressait pas de profiter de cet argent autrement, je voulais le remiser, comme au casino. Beaucoup s’en seraient contentés, mais moi je veux le réinvestir. Jusqu’à un certain moment, hein ! (rires) Mais tant que je suis encore vaillant, ça ne m’intéresse pas de capitaliser. Je verrai dans quelques années, mais pour l’instant j’ai l’impression que mon produit est très très compétitif, qu’il est de très bonne qualité par rapport à ce que je vois et que, fort de ça, on a encore des places à gagner et des parts de marché à prendre.
BDE : Est-ce facile de travailler tout ce qui est propre à l’édition, de l’impression à la diffusion ?
M : Rien n’est facile, ce sont des choix à faire. Un lundi matin, on se lève, il faut avoir décidé, et c’est parfois difficile. Par exemple, avec mon épouse on a du faire un choix de vie. On aurait pu décider que je travaille une semaine sur deux – ce qui est largement suffisant pour sortir un album de Kid Paddle tous les deux ans – avec Game Over qui tourne quasiment tout seul, sans que je fasse d’énormes efforts. Ça aurait pu être ça, notre vie, ça pourrait être suffisant.
Mais quand même, ça fait des années qu’on est dans le milieu de la BD, on voit qu’il y a des manquements, des produits dérivés à faire. Laissons-nous une chance de créer un univers, comme Disney ou Peyo avec Les Schtroumpfs.
BDE : Justement, vous travaillez beaucoup sur les produits dérivés, est-ce une de vos principales orientations ?
M : Oui, je pense que c’est très important qu’un personnage sorte de son univers papier et atterrisse sur un verre à moutarde. Évidemment, les auteurs un peu bobos parisiens ont horreur de ça, mais pour moi c’est vraiment euphorisant et très valorisant de retrouver sa création dans des endroits qui ne sont pas destinés aux lecteurs de BD.
BDE : Est-ce qu’on peut imaginer un film dans quelques années ?
M : Oui, mais pas avec des acteurs bien sûr. J’aimerais bien un film d’animation mais, pour dire comment les choses fonctionnent, je viens juste de lancer ma petite structure. Alors tous les observateurs attendent de voir si je vais continuer, si on va s’engueuler, si je réussis ou si je fais faillite, etc. En attendant, je ne travaille pas avec eux. Il est très difficile d’ailleurs d’avoir des rendez-vous car ils sont très méfiants. Une réputation ne suffit pas, il faut montrer que la boîte tourne, qu’elle tourne bien, et alors seulement des investisseurs plus importants que ceux qu’on a aujourd’hui vont nous rejoindre.
Mais c’est bien, ça me donne aussi le temps de réfléchir. Il a fallu que je me réhabitue à Kid Paddle, j’avais terminé le dernier en juin 2007 et le prochain sera bouclé en juin 2011. Quatre ans pour le faire…
BDE : Le système de Game Over est bien tombé puisqu’il vous a finalement permis de gérer beaucoup de choses entretemps ?
M : Absolument. Même si ce n’était pas l’idée de départ. Je me suis rendu compte à l’époque qu’Adam était au chômage technique puisqu’il n’avait plus de scénarios. On avait bossé avec quelques scénaristes, mais ils ne tenaient pas la longueur. A un moment, il fallait quand même produire des planches et moi j’en avais marre de scénariser la série, c’est super dur, c’est ingrat. Je pouvais en faire de temps en temps mais j’avais mon compte. Je voulais pas non plus chercher de scénariste car ça aurait déjà été le quatrième…
C’est en surfant que je suis tombé sur la notion de crowdsourcing. Je l’ai vu appliqué par Proctor & Gamble, je crois, et l’idée a commencé à germer. Le site était un peu compliqué à mettre en place, mais ça fera trois ans en avril que ça existe. J’ai reçu environ 9000 scénarios, je les ai tous lus. On retombe souvent sur des choses qui ont déjà été faites, des centaines de gags qui sont toujours les mêmes ou de vieilles idées comme le boomerang. Mais des centaines d’autres sont excellentes. Bien sûr j’ai trouvé des dizaines de scénaristes ponctuels, mais aussi des auteurs plus sérieux qui pourraient devenir pros. Le Tome 6 est d’ailleurs écrit par un seul d’entre eux, Patelin, qui est un instituteur français. Il est perdu au fin fond d’un bled et il n’imaginait pas une seconde faire ça à temps complet. Pour moi, c’est une grande réussite car il a vraiment l’humour pour l’univers de Kid Paddle. Ça veut dire qu’il y a moyen de creuser dans des directions différentes et peu habituelles.
Par contre, je n’ai jamais trouvé personne pour Kid Paddle ! Même de la part de scénaristes professionnels, ça ne me plait pas.
BDE : Pour revenir aux produits dérivés, qu’avez-vous comme idées ?
M : Déjà, je voulais absolument avoir des figurines. Je me suis rendu compte que, pour que ce soit intéressant financièrement, on ne pouvait pas en faire 2.000 ou 5.000 seulement. Il faut en faire 20.000. Donc il faut les écouler ! Pour ça, il faut trouver un circuit de distribution. Toutes les librairies n’en veulent pas, il faut donc voir avec les librairies spécialisées, mais là vous n’en mettrez pas autant. Si déjà 1.000 sont parties, il en reste 19.000. Ça va partir sur le temps, mais ça reste sur les bras. C’est comme si on avait placé 19.000€ sur ces bouts de plastique, c’est un investissement.
Comme pour la couverture du Tome 5 de Game Over, qui était compliquée à faire car il y a un relief sur l’empreinte de pas, le retirage coûtait très cher. On savait qu’on en vendrait 75.000, alors on a demandé à l’imprimeur d’en sortir 150.000. C’est à nouveau 75.000€ immobilisés sur ces albums.
Ajoutés aux figurines, c’est un pari sur le temps. C’est donc compliqué de prévoir beaucoup d’autres choses avant un moment…
BDE : Pas de réveil Blork pour l’instant ?
M : Ah ! Je l’ai dessiné il y a 2 ou 3 ans pour Angoulême, mais Dupuis s’est rendu compte que c’était trop cher. Alors on a fait des tapis de souris, c’est autre chose…
BDE : L’univers de Kid offre de nombreuses idées.
M : Oui, j’en ai plein plein ! Maintenant il faudrait passer par des boîtes de céréales ou de lessive, les associer à un produit plutôt que les vendre directement. Ce sont des choses qu’on n’a pas encore ciblées, mais on y pense. On pourrait aller voir McDo avec nos figurines, pour faire une « continuation de tirage » comme on dit. Puisque le moule est déjà fait et que c’est ce qui coûte cher – environ 5.000€ pour une figurine, qu’on en produise 2.000 pièces ou un million – c’est intéressant. Ce sont aussi des produits de contact. Car c’est plus dur avec les magasins de jouets.
BDE : Tout ça était n’était pas possible avec Dupuis ?
M : Non. Quand on signe un contrat avec eux, ils peuvent céder le personnage qu’ils ont acquis à une tierce personne, sans contrôle de notre part. Sauf s’ils altèrent totalement l’idée morale du personnage, ce qui n’arrive jamais. Le pire est qu’ils peuvent céder ça à bon prix à quelqu’un qui peut faire du mauvais boulot ou à petit prix à quelqu’un qui s’en fout et le veut juste dans son catalogue.
Il y a le côté kafkaïen des éditions Dupuis, ou Dargaud ou n’importe quel grand groupe : à un moment c’est un paquebot, si vous voulez changer de cap, il vous faudra avancer de plusieurs kilomètres pour commencer à virer.
BDE : C’est encore peu exploité dans le domaine de la BD franco-belge.
M : C’est vrai, ou alors dans le produit de luxe, les résines, etc. Le vrai problème est la distribution, comme pour nos casquettes. Où les vendre ? Je m’en suis ouvert à Dimitri, qui est le financier. Il m’a dit qu’on allait les faire, sans se ruiner, et qu’on verrait après. On doit se lancer d’abord, sinon on ne le ferait jamais. Bien sûr, on peut se le permettre parce que Kid Paddle se vend super bien, que le fonds tourne toujours et qu’on reçoit des droits d’auteur en permanence.
BDE : Est-ce encore un peu tôt pour connaître les retours sur ces produits dérivés ?
M : Oui, un peu. Les figurines sont en magasin depuis début janvier, mais ça a l’air de fonctionner. On aimerait faire comme pour Garfield, qui réussit à tout vendre. Jim Davis, qui n’en a vraiment plus besoin, continue de faire des trucs incroyables pour les fans, par amour du commerce. Je trouve ça fantastique !
BDE : Quand au prochain Kid Paddle, y retrouvera-t-on un ton différent ? Y a-t-il des choses que vous ne pouviez pas faire chez Dupuis ?
M : Pas vraiment. Je n’avais aucune censure. Ils me forçaient un peu la main de temps en temps pour faire une chute un peu plus grasse, c’est tout. Dans le franco-belge, tout le déroulement de la page ne sert qu’à amener un point d’orgue sur la dernière case. Ce n’est pas le cas sur Snoopy ou Calvin & Hobbes, qui sont des tranches de vie qui alimentent l’univers. Au début, j’ai eu beaucoup de mal parce que l’éditeur ne comprenait pas ce fonctionnement. Il commence pourtant à le faire avec Les Nombrils.
Donc rien de différent ne sera vraiment apparent.
BDE : Bon courage pour la suite et merci pour tout !
M : Merci beaucoup à toi !
Propos recueillis par Arnaud Gueury.
Interview réalisée le 27 janvier 2011.
© MAD Fabrik/Midam/Adam
Photos © BDE
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Je suis bien consciente de l’intérêt de produits dérivés, cependant vous ne devez pas oublier que des marques de lessive ou des mac do ne sont pas un bon débouché pour le style que vous avez. A moins d’être gros gros, vous ne résisterez pas et votre réputation non plus si des lobbystes demain décident de faire une pétition contre telle ou telle marque. Si demain mac do décide de faire du hallal par exemple, votre image de marque s’en trouvera entachée. Réflechissez bien à cela. Ces grandes marques ont le pouvoir de faire fabriquer en grande quantité des dérivés à l’étranger et vous vous trouverez dépossédé de votre propriété intellectuelle. Restez en dimension humaine si vous pouvez vous en contenter, et rappelez vous que le mieux est l’ennemi du bien !