Parution : 01/2013
Il est des rencontres qui bouleversent une vie sans qu’on y prenne garde. Il est des êtres insignifiants d’apparence qui traînent leur puissance tel des maelströms insatiables. Ce matin-là, le Pogo a jeté son dévolu sur un jeune journaliste qui aborde ses vingt ans la fleur au fusil, plein de naïveté et d’idéaux post-adolescents, poussé par l’envie d’en découdre sans vraiment savoir ni avec quoi, ni avec qui. Du pain béni pour l’âme torturée de ce dandy poisseux qui traîne sa gueule cassée dans un smoking élimé et des bottes en caoutchouc. Avec la sensibilité d’un dresseur de fauve, il séduit le tendron et lui promet d’avoir quelques secrets à lui déballer. Contre le zinc, le Pogo se met à table et lâche le morceau entre deux gorgées de carburant qu’il consomme à outrance. Pour l’état-civil, il est mort depuis dix an.! Rien de tel qu’un macchabée bien vivant et en perdition pour ferrer le gratte-papier. La visite au cimetière prend une tournure dangereusement décadente et les premiers dommages collatéraux arrivent. Le désespoir cynique et l’alcool dissoudront jusqu’au dernier carré de candeur sucrée.
Un album en noir et blanc, à l’esthétique presque photographique, où Jean Vautrin et Eugénie Lavenant racontent la rencontre d’un accidenté de la vie et d’un jeune journaliste. Le récit de vie est ici accablant et lourd de conséquence. La transmission culturel et le rapport maître-élève qui s’installe tout au long de l’ouvrage donne littéralement le vertige. Tant et si bien que le lecteur ne peut détacher son regard de ce livre, comme s’il contemplait le vide de sa propre condition pour la première fois. Les tirades bien senties et les dialogues rappellent le goût de Jean Vautrin pour le vocabulaire imagé et la poésie de l’argot. Certaines scènes explicites et d’un réalisme sexuel cru pourraient heurter le lecteur pudibond.
Le Pogo aux yeux rouges sonne le rappel : loin de l’ultra-violence conventionnelle et de l’hémoglobine politiquement correcte, la violence psychologique et la décadence humaine sont de loin les plus terrifiantes.
Alain Lamourette
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