Rencontre avec Marc Villard et Jean-Philippe Peyraud – Auteurs de J’aimerais être un saint mais bronzé

« J’ai débuté par la poésie. Ensuite le polar. Un peu de pub, of course. Aujourd’hui j’écris à la salope de ma caisse de retraite. »

S’il est généralement admis que les anges n’ont pas de sexe, on peut Facilement imaginer que les saints exotiques sont naturellement plus halés que leurs confrères scandinaves. Mais il est évident que les voies vers la canonisation ne prennent pas assez en compte la production de mélanine ou l’esthétique de ceux qui peuvent prétendre au halo sacré. Jean-Philippe Peyraud et Marc Villard formulent, en 99 strips, un vœu pieu : J’aimerais être un saint mais bronzé. A travers ces quelques lignes d’entretiens, ils déroulent le fil d’un album savoureux et nous entrainent dans les méandres de la psyché de Marco, artiste torturé mais avec un certain sens du panache.

Chronique de l’album

Bulle d’Encre : Comment s’est passé votre rencontre avec Marc Villard ?
Jean-Philippe Peyraud : C’est notre éditrice chez Casterman qui nous a présentés. Après sa collaboration avec Jean-christophe Chauzy sur le polar Rouge est ma couleur, Marc cherchait un auteur pour adapter ses nouvelles auto-fictionnelles parues à L’Atalante où il développait déjà son double de papier, Marco . C’est ainsi qu’est né Quand j’étais star, suite d’histoires courtes mêlant humour, mélancolie et intimisme. Nous avons consolidé notre duo avec le polar Happy Slapping, adaptation de sa nouvelle noire Bird. Marc voulait se frotter au strip, un genre que j’avais rapidement abordé au début de ma carrière (Soit dit en passant, chez La Cafetière éditions – épuisé). Je veux être un saint mais bronzé reprend donc le personnage de Marco mais dans des saynètes franchement humoristiques. C’est Treize étrange qui a accueilli ce nouvel opus après une première publication sur notre blog du même nom.
Marc Villard : J’avais proposé à Casterman de sélectionner une vingtaine de nouvelles dans mes recueils d’autofictions. Après, il nous a fallu envisager un dessinateur. Casterman m’a proposé Jean-Philippe qui travaillait déjà pour eux. Son dessin m’a plu et nous avons travaillé ensemble.

BDE : Tout laisse à penser que Je veux être un saint mais bronzé s’inspire directement de sa vie. Qu’est-ce qui vous a poussé à faire cet album?
JPP : Un auteur met forcément une dose plus ou moins importante de sa vie dans son travail. Ce que j’apprécie chez Marc, c’est sa force d’auto-dérision, la façon dont il joue avec ses travers, ses défauts pour en faire œuvre. Je pense que Marc avait envie de pousser plus loin cette auto-dérision et que le strip, avec son rythme si particulier, était le meilleur médium. Ce qui nous a poussé à faire cet album, c’est l’amusement que nous avons trouvé à l’écrire et le dessiner, tout simplement. La moitié des strips était réalisée avant que nous ne trouvions un éditeur.
MV : J’ai une image d’auteur noir et ça m’intéressait de casser cette image à l’aide de narrations humoristiques. L’idée du strip m’est apparue rapidement car je ne voulais pas rééditer un album identique à Quand j’étais star. J’ai toujours été un lecteur des strips américains en 3 cases. Mais comme nous avons choisi le format livre d’emblée, les 4 cases s’imposaient plus, compte tenu de la mise en page.

BDE : Comment se déroule votre collaboration ?
JPP : Marc a une grande culture de l’image. Ancien graphiste, c’est aussi un amateur d’art éclairé. C’est aussi un auteur qui aime collaborer avec d’autres artistes, musiciens, photographes, illustrateurs… Notre collaboration se passe donc très simplement et dans l’émulation. Pour J’aimerais être un saint mais bronzé, il m’envoie des salves de scénarios réduits à leur plus simple expression : une suite dialoguée sans informations de mise en scène. Cela me laisse une grande liberté pour imaginer un contexte qui va accompagner, souligner, de façon décalée ou pas, la situation. Sur la centaine de strips réalisée, un seul n’a pas trouvé grâce aux yeux de Marc. Comme il ne me convenait pas non plus, nous l’avons purement et simplement éliminé du livre. Je dois avouer que Marc a un côté masochiste prononcé : il adore quand je le ridiculise visuellement encore plus que ce que ses scénarios n’évoquaient !
MV : J’ai surtout travaillé sur ce livre au niveau des dialogues. A charge pour Jean-Philippe de se coltiner la mise en scène et la création des lieux. C’est mieux car ça lui laisse une marge forte au plan créatif. Je ne suis pas partisan d’un scénario trop directif pour le dessinateur. C’est pareil quand je travaille avec Chauzy.

BDE : Dans l’album, le héros est sans cesse contrarié tant par sa femme, que par ses enfants ou son éditeur, et se réfugie derrière des solutions saugrenues, comme un rapport particulier aux antidépresseurs, à la spiritualité foutraque et une propension au suicide raté. Est-ce la névrose qui est drôle ou le fait que l’on puisse se reconnaître à travers elle ?
JPP : Une névrose en soit n’est pas drôle ; elle peut même donner sujet à des œuvres dramatiques, par exemple. C’est le fait de jouer avec la névrose qui est drôle. Ça la rend plus acceptable aux yeux du lecteur qui peut s’y reconnaître et en rire. Et l’auto-dérision permet cela plus efficacement que la simple dérision.
MV : Ce qui est drôle, c’est de ne pas prendre les choses au tragique et de transformer une situation qui pourrait passer pour traumatisante par la dérision. J’ai beaucoup écrit sur ce mode et pour en revenir à l’autofiction, je ne fais pas partie des écrivains ayant des rapports douloureux à régler avec leur adolescence ou leur famille. Ceci expliquant cela.

BDE : Dans le livre, l’auteur porte un regard acerbe sur le monde en général et sur la littérature contemporaine en particulier. Certains auteurs se font d’ailleurs directement tacler. Est-ce que vous vous êtes fait des ennemis avec ce livre ?
JPP : Le premier taclé est Marc lui-même ! Il est bien plus acerbe et méchant avec lui-même qu’avec ses collègues auteurs. Jusqu’à présent, nous n’avons reçu aucune menace ni dépôt de plainte. L’occasion de vous signaler Avoir les boules à Istanbul – Journal d’un écrivain en résidence chez L’Atalante, dans lequel Marc dégomme les écrivains et le milieu littéraire avec bien plus de morgue !
MV : Je mesure 181 cm et pèse 100 kilos. On se plaint rarement à moi en direct. Quant à ce qu’il se passe derrière mon dos, je m’en fiche.

BDE : Est-ce que la BD a eu plus de succès que les livres du héros ?
JPP : En tout cas, nos familles n’ont pas été obligées de vendre nos exemplaires sur eBay pour survivre.

BDE : Quels sont vos futurs projets séparés ? Et ensemble ?
JPP : Le 7 novembre sortira chez Delcourt Idées reçues et corrigées, réalisé avec Yannick Lejeune et Éric « Turalo » Dérian. Nous y démythifions scientifiquement et humoristiquement plus de 50 idées reçues et largement répandues. Marc Villard et moi-même avons d’autres projets de collaboration mais rien de concrétisé à ce jour.
MV : Ensemble, je viens d’y répondre. Seul, j’écris trois recueils de nouvelles en parallèle et je termine un manuscrit autour de scènes de crimes imaginaires photographiés par Hermance Triay. Je développe aussi depuis 4 ans des lectures publiques de mes textes en compagnie de musiciens de jazz.

MV : Pas spécialement. Nous avons un second projet en discussion avec le même éditeur. Il n’est donc pas fâché avec nous.

Propos recueillis par Alain Lamourette.

Interview réalisée le .

© Éditions Glénat 2012/Villard/Peyraud
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