« Dès les prémices du printemps, après l’hiver pénible et glacé que nous avions passé, j’ai envoyé la Santiago en reconnaissance. Elle s’est échouée et la nef est perdue. Même si par bonheur les hommes ont tous été sauvés, j’ai à nouveau senti naître le désarroi et l’envie de revenir en Espagne. Aussi, bien que trop tôt, j’ai pris la décision de repartir vers le sud. En vain. Nous sommes à nouveau restés bloqués par des tempêtes près de 50 jours. »
Vous aimez l’aventure, découvrir ou re-découvrir les destinées de fabuleux explorateurs ? Cela tombe bien car l’histoire de Magellan vous tend les bras. Vous êtes prêts ? Nous embarquons avec les capitaines Thomas Verguet et Bastien Orenge pour mettre à jour les secrets que renferment la timonerie, la cambuse ou encore les cales de cette nef. Embarquement quai BD Aix 2012 ! Hissez haut, matelots !
Chronique de l’album
Retrouvez des extraits en fin d’interview.
Bulle d’Encre : Bonjour ! Messieurs, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs?
Thomas Verguet : Bonjour ! Je suis originaire d’Aix-en-Provence. Et cela me fait particulièrement plaisir d’être ici pour ce festival. A la base, j’ai fait des études d’ingénieur sur Lyon. Je suis assez scientifique. Et finalement je suis revenu à la BD car c’est ce qui me parlait le plus. J’avais plus envie de dessiner, de vivre ma passion que d’être ingénieur. Je suis autodidacte. J’ai quand même pris quelques cours sur Marseille au Zarmatelier. Mes premiers cours de BD, je les ai pris là-bas avec Yann Valéani (Derm). J’y ai appris pas mal de choses sur la BD. Mais je sentais que j’avais encore pas mal de lacunes à combler. Je suis donc parti en Belgique pendant 3 ans où j’ai fait un peu de graphisme et du dessin animé. La Belgique parce que c’est le pays d’origine de la BD et, pour les études, c’est assez pratique car moins cher. En France, les écoles de graphisme sont quand même beaucoup plus chères. Après, j’ai commencé à démarcher. Je suis allé au festival d’Angoulême où j’ai rencontré des éditeurs. Je ne savais pas trop où me situer par rapport au niveau que j’avais. A priori, les éditeurs étaient intéressés par ce que je faisais. Cela m’a encouragé et j’ai monté mes premiers dossiers.
Bastien Orenge : Bonjour ! J’ai 22 ans. Magellan est donc ma première BD. Tiens, ce n’est pas évident de dessiner en même que répondre aux questions. Donc, après un Bac Littéraire, j’ai étudié l’Histoire de l’Art. Ensuite, j’ai fait une école d’Arts à Nantes pendant trois ans, l’école Pivot de Nantes. Là, je me suis spécialisé en bande dessinée et en illustration. Et, à la suite de cela, j’ai été contacté par le studio Elyum pour travailler sur la collection Explora chez Glénat.
BDE : Votre rencontre s’est déroulée de quelle manière ?
TV : En fait, c’est Guillaume Dorison (Mary Kingsley), qui travaillait à l’époque aux Humanoïdes Associés, qui m’a repéré le premier. On a monté un projet ensemble pour les Humanos qui ne s’est pas fait. Juste après cela, Guillaume a créé un studio de bande dessinée sur Paris. Il recrutait donc pas mal de dessinateurs qui étaient à la fois partants pour venir bosser sur Paris et qui ne rechignaient pas à travailler en équipe. Guillaume a mis en place ce studio avec Didier Poli (Neige Fondation). D’ailleurs, studio où l’on ne faisait pas que de la BD. C’est à ce moment-là que je suis venu sur Paris. Cela correspondait au moment où j’avais envie de bouger de Belgique. C’est là que j’ai rencontré Bastien Orenge. On m’a proposé de dessiner avec lui. Didier Poli pensait que l’on était assez complémentaire. Et qu’on allait bien s’entendre. Bastien comme moi étions quand même assez ouverts, surtout pour une première BD d’envergure, sur le fait de bosser à deux. Disons que travailler en équipe, c’est une question de philosophie. C’est mon côté ingénieur. Travailler sur un projet en équipe, j’aime assez. Nous étions donc partant pour cette aventure qu’est Magellan.
BO : C’est donc lors de l’intégration au studio que la rencontre s’est faite. D’ailleurs, Jean-Baptiste Hostache (Clockwerx) et Xavier Dorison (Long John Silver) font partie des fondateurs de ce studio. Dès le début, j’ai senti que le courant passait bien avec Thomas. Donc cela m’a rassuré.
BDE : Comment s’est passée la collaboration et surtout comment avez-vous organisé ce travail à quatre mains ?
TV : La collaboration s’est super bien passée. On était très content de l’apport de l’un et de l’autre. En ce qui concerne la répartition des tâches, le sujet, au départ, parlait plus à Bastien qui avait fait son projet de fin d’études sur les conquistadors. Il avait donc pas mal dessiné de bateaux, d’armures. Il avait tout un dossier sur le sujet et un vécu. Donc, au départ, je faisais plutôt la mise en scène, c’est ce genre de chose que je lui apportais. Et lui m’a appris tout ce qu’il savait sur les bateaux. J’ai vite comblé mon retard. On a beaucoup échangé. Puis, par la suite, on a beaucoup mélangé. C’est-à-dire qu’on ne voulait pas, l’un comme l’autre, d’une collaboration en séparant décors et personnages. On a voulu faire quelque chose de différent. Au début, je commençais le dessin et Bastien le finissait. Par exemple, je posais les personnages sans les habits et lui venait mettre du détail. Pour l’encrage, Bastien devait le faire seul et au final on l’a fait à deux. En avançant, on a envie de toucher à autre chose. On a beaucoup appris l’un de l’autre. Et c’est devenu très fusionnel dans le sens où on se passait les planches. Comme on travaillait sur deux planches en parallèle, il arrivait souvent qu’on échange les planches selon les envies de dessin. Je ne pensais pas que c’était forcément possible d’arriver à une entente pareille. Cela a permis de créer un troisième moteur qui n’était ni lui ni moi. Le fait d’être deux ne nous a pas fait aller plus vite mais plus loin. Mais c’était une expérience très enrichissante. Du coup, je pense que l’on va continuer à collaborer.
BO : Au début, c’était un ensemble de réglages à trouver. Pour mixer les dessins, ce n’était pas facile les premiers temps car je n’avais pas l’habitude de dessiner à deux. Et puis, au final, une collaboration où on a appris à compléter nos dessins. Il y a eu un véritable échange de savoirs. Une collaboration qui, selon moi, était tout à fait positive.
Bulle d’Encre : Pour une première bande dessinée, il y a une certaine maturité du dessin. Comment êtes-vous arrivé à ce résultat ?
TV : Merci ! C’est l’avantage de bosser à deux. Tout seul, je n’aurais jamais fait un Magellan. Dans un premier album, on a quand même des limites, des petits soucis de justesse. Et il y a l’autre avec son œil pour dire : « Eh bien non, je vais pousser un peu plus loin parce que cela ne me va pas ». Et, inversement.
BO : Chacun était là pour remotiver l’autre quand il y avait des baisses de motivation devant la somme de travail et la complexité de certaines planches. Car c’est un travail long. En plus, c’était notre premier album. C’était quand même dur. Cela nous a permis d’aller plus loin !
BDE : Vous avez eu un gros travail de documentation. Avez-vous exploité certaines zone d’ombre de l’histoire ?
TV : Les faits remontent à pas mal de temps. Il n’y a pas tellement de documents. Il y a surtout le journal de Pigafetta qui a tenu le journal de bord tout au long de la navigation. Sur ce qu’il s’est passé réellement autour de ce tour du monde, cela reste assez flou. Notamment sur l’aspect politique. Magellan est quand même un Portugais qui travaillait pour le compte de l’Espagne. Car le Portugal ne croyait pas en lui. Avant cela, il y avait eu Colomb, portugais également, qui avait découvert les Amériques pour le compte de l’Espagne également. Et les Espagnols ne supportent pas l’idée que ce soit un Portugais qui fasse le premier tour du monde. Donc, ce qui a été exploité, c’est tout ce côté-là, en ce disant qu’il n’est pas possible que les Espagnols aient laissé faire cela. Ils ont sans doute voulu étouffé son nom et faire passer à la postérité un Espagnol plutôt qu’un Portugais. C’est une BD qui est aussi assez politique. Le parti-pris et l’exploitation des zones d’ombre, c’est surtout sur la mort de Magellan. Je ne spoile pas l’album en disant qu’il meurt, car on le voit dans les premières pages. C’était quelqu’un de très calculateur et qui planifiait absolument tout ce qu’il faisait. Et cela paraissait très surprenant à Christian que Magellan ait tout prévu et qu’il se soit fait avoir si bêtement. C’est la thèse du scénariste qui développe sa vision de l’histoire. L’intérêt est justement d’avoir une nouvelle vision de Magellan qui ne soit pas celle qu’il y a déjà dans les livres.
BO : Le point en ma faveur, et comme l’a dit Thomas, c’est mon projet de fin d’études sur la période des conquistadors et du Nouveau Monde. C’est pour cela que j’ai été choisi pour ce projet. J’avais donc déjà travaillé personnellement sur les bateaux, les caravelles et les armures. J’avais une base de documentation personnelle qui nous a servi. On est également allé au musée de la Marine. Et notre scénariste nous beaucoup aidé au niveau documentation.
BDE : Justement, quelques mots sur le travail avec Christian Clot, explorateur, et donc scénariste de Magellan.
TV : C’était super intéressant. Je trouve que c’est une grande chance de pouvoir travailler avec un véritable explorateur professionnel. C’est quelqu’un d’assez génial. Je crois qu’il n’y a que 8 personnes qui vivent de l’exploration en France. Il avait toujours énormément d’anecdotes à nous raconter. Il est allé je ne sais plus combien de fois dans le détroit de Magellan. On était assez surpris au début. On se disait : « Qui est ce gars-là ? Il est explorateur, il se lance dans la BD et Glénat lui fait confiance ? ». Et en fait c’est une personne brillante, un peu touche-à-tout et totalement passionnée. Je me suis pas mal retrouvé là-dedans. Même si on vient d’horizons différents, on était tous aussi passionnés les uns que les autres. On va dire que lui tirait souvent du côté de la justesse historique. Et nous, on disait qu’il fallait que ce soit aussi du grand spectacle. Et cela n’a pas été évident car il faut discuter longtemps pour convaincre l’autre.
BO : C’est un homme incroyable. J’étais très impressionné par son parcours. Comme je suis plus jeune, j’avais un certain respect et un manque de confiance de ma part pour lui faire part de mes idées. C’est quelqu’un de très sûr de lui. Vu son parcours, c’est normal. Il entreprend énormément de choses. J’avais donc un peu de mal à m’imposer au début. Mais c’est quelqu’un de très compréhensif. Donc, c’est une collaboration qui s’est très bien passée. A trois, il y avait beaucoup de discussions. Parfois, il y avait des débats houleux. Mais, à la fin, chacun réfléchissait sur les avis des autres de manière à faire du mieux possible pour le projet. C’est vrai qu’on l’a plus vu sur la fin de l’album. Pendant le projet, il est parti en expédition en Iran et, de suite après, au Pôle Nord.
BDE : Quelles sont vos influences graphiques ou autres ?
TV : Mes influences sont, de manière non exhaustive : Mickey, Boule et Bill, Johan et Pirlouit, Tintin, Astérix, Gaston. Puis, j’ai découvert la BD plus adulte : Les Gardiens du Maser, les bandes dessinée des éditions Soleil ou Delcourt avec notamment Claire Wendling (Les Lumières de l’Amalou), La Quête de l’Oiseau du temps, L’Incal, Bone, Akira, Schuiten, Miyazaki, Craig Thompson, Bengal, Benoit Springer. Et, aussi de la BD plus « auteur » avec Manu Larcenet, Bastien Vivès, Chris Ware, Joan Sfar, Zep, Charles Burns. Aujourd’hui, je regarde un peu de tout, de la BD grand public en rapport avec ce que je fais en ce moment, mais aussi des BD d’auteurs, des mangas et de la BD américaine.
BO : Je lis des BD depuis toujours. J’ai lu les classiques franco-belges Astérix, Blake et Mortimer, Boule et Bill et d’autres encore. Je suis passé par-là donc. Puis, adolescent, mes parents me donnaient libre accès à une bibliothèque où je prenais chaque semaine plein de bouquins, autant des romans que des BD. Je prenais tout ce qui passait. Même si je ne connaissais pas, je prenais. A ce moment-là, j’ai découvert Neige de Didier Convard et Christian Gine. J’avais été charmé par un dessin à la fois très adroit et très artistique, avec un encrage très ressenti. Cela m’avait marqué, notamment les visages des lépreux. Il s’était passé quelque chose avec ces dessins. Et La découverte a été La Quête de l’Oiseau de temps. J’ai également lu tous les Lanfeust. Certains disent qu’il ne faut pas les citer en tant que référence, car ils les considèrent comme de la vente de masse. Moi, j’estime que si je les ai dévorés adolescent, c’est que quelque part ils avaient des qualités. L’heroic fantasy m’attirait beaucoup. Maintenant, j’ai découvert plein de choses. L’école Mathieu Lauffray, Alex Alice, Robin Recht, Xavier Dorison dont j’aime beaucoup la narration mais aussi l’encrage qui est très développé. A l’école Pivot, on était très friand de ce genre de BD. Notamment, j’ai fait un stage avec Nicolas Siner qui a fait Horacio d’Alba chez 12bis. Il est vraiment de l’école Alex Alice, c’est-à-dire attaché à l’encrage, aux belles planches bien finies. Aujourd’hui, j’ai tendance à vouloir styliser mon dessin, à dessiner un peu plus dans la caricature. Et, du coup, j’ai découvert Matthieu Bonhomme. J’ai dévoré les Marquis d’Anaon et Messire Guillaume. Pour moi, il a un dessin parfait, ressenti et à la fois un peu dans la caricature mais tellement maitrisé. Je suis fan absolu.
BDE : Quels sont vos projets futurs projets ?
TV : Je pense continuer ma collaboration avec Bastien, comme je le disais tout à l’heure. Je pense aussi à des projets seuls mais ce ne sera pas le même type de projet. J’ai certaines envies, certaines idées et ce ne sont pas les mêmes envies qu’à deux. Je n’ai rien de déterminé pour l’instant mais je peux donner autant dans la science-fiction que l’aventure. Dans Magellan, l’action est assez sage. Moi j’ai envie d’une action un peu plus pêchue.
BO : J’ai envie également de poursuivre la collaboration avec Thomas que je trouve très motivante. Autant au niveau du travail et artistique que dans l’amitié. Et, plus tard, me lancer seul. Un jour, il faudra bien faire le grand saut. J’avais été contacté pour un projet solo mais je ne suis peut-être pas prêt. La bande dessinée est un travail de longue haleine et de solitaire. Donc, pour l’instant le travail en équipe me va bien. Il y a un échange de connaissances très intéressant avec Thomas. C’est d’ailleurs lui qui m’a fait connaitre Le Marquis d’Anaon. Et j’ai aussi dans l’idée d’écrire un jour mes propres histoires, peut-être adapter des romans, mais plus tard.
BDE : Merci à tous les deux !
TV : Merci à toi !
BO : Merci !
Propos recueillis par Stéphane Girardot.
Interviews réalisées les 13 et 15 avril 2012.
© Glénat/Verguet/Orenge
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