Après avoir réalisé plusieurs projet pour diverses maisons d’édition BD classique, Nicolas Vadot a parié sur le nouveau concept de Sandawe pour sa dernière série, Maudit Mardi !. Nous sommes donc allés à la rencontre de cet auteur fort sympathique afin d’en savoir un peu plus.
Bulle d’Encre : Bonjour Nicolas. Présentez-nous en quelques phrases Maudit Mardi !.
Nicolas Vadot : C’est l’histoire d’Achille, un vieux garçon d’une quarantaine d’années, qui vit sur une île perdue et passe sa vie à regarder les bateaux passer au loin, assis sur la plage, à tel point qu’il s’est – littéralement – enraciné, coincé, semble-t-il à jamais, sur la terre qui l’a vu naître. Mais soudain, il apprend une nouvelle terrifiante : le jour de sa mort, un mardi. Le seul problème, c’est qu’il ne sait pas lequel. Cela peut-être le prochain, ou celui d’après, ou dans cinquante ans. Au moment où commence l’histoire, nous sommes jeudi et une énorme tempête s’apprête à l’engloutir. Il doit donc se déraciner au plus vite, puisque la prophétie lui a dit qu’il mourrait un mardi, et pas un jeudi…
BDE : Vous aimez ajouter un brin de fantastique dans vos récits, d’où vous vient cette attirance pour ce genre ?
NV : Je n’ai pas vraiment d’attirance pour le fantastique en tant que tel. Je m’en sers de manière métaphorique, pour faire entrer le lecteur en contact avec son inconscient. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas le réalisme, ni le fantastique, mais la lisière ténue entre les deux, comme quand on est sur le point de se réveiller et que l’on ne sait pas exactement si l’on est encore dans le monde onirique ou bien si l’on est déjà retourné au monde réel.
Ici, le thème est le fait d’avoir ou non des racines et de se rendre compte que ces racines ne sont peut-être pas forcément là où l’on pensait – la terre qui vous a vu naître – mais plutôt autour des personnes qui vous aident à avancer et devenir vous-même, puisqu’Achille part à la grande ville retrouver un amour de jeunesse.
BDE : Pouvez-vous nous raconter comment vous avez rejoint l’aventure Sandawe ? Il me semble que c’est assez original.
NV : Oui oui, je l’ai découverte grâce à la radio, et une chronique de Thierry Bellefroid sur la RTBF. Mais cela, c’était trois mois après m’être fait jeter partout ! Je l’ai rejointe par défaut, comme la plupart des auteurs financés. Maudit Mardi avait été refusé par tous les grands éditeurs. J’ai eu vent de l’aventure Sandawe et j’ai tenté ma chance, en sachant bien que je jouais là ma dernière cartouche. Heureusement, en trois mois et des poussières, les internautes ont totalement démenti les éditeurs qui n’avaient pas voulu de cette histoire, qui me tenait pourtant extrêmement à cœur.
BDE : Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce nouveau concept de maison d’édition que représente Sandawe ?
NV : Auparavant, il y avait un rapport – souvent inégal – entre l’auteur et la maison d’édition, avec des délégués commerciaux qui décidaient à priori de ce qui allait marcher ou non, en privilégiant bien souvent l’absence de prise de risque et le conformisme, avec une vue à court – voire très court – terme. Ici, les internautes choisissent en amont. Les détracteurs de Sandawe nous disaient qu’un tel mode de fonctionnement allait niveler par le bas, le public choisissant toujours les projets « commerciaux », sans esprit d’innovation. Les faits ont prouvé exactement le contraire, en tout cas pour Hell West ou Maudit Mardi, voire Il Pennello. Au fur et à mesure, je me suis aperçu que les édinautes (les « éditeurs-internautes ») investissaient avant tout pour voir émerger ce qu’ils ne trouvaient pas ailleurs et pour participer à une aventure éditoriale novatrice. L’aspect « return » financier semble être le cadet de leur souci, en tout cas dans un premier temps. S’ils gagnent de l’argent avec Sandawe, tant mieux, ils ne cracheront pas dessus, mais ce n’est vraiment pas leur motivation première, pour en avoir discuté avec eux longuement, parfois de visu.
BDE : Votre projet a trouvé son budget assez rapidement, que ce soit pour le tome 1 ou pour le 2. C’est plutôt flatteur.
NV : Oui, mais je n’ai pas ménagé ma peine, croyez-le bien. C’est là une des leçons principales de ces premiers projets financés : pour trouver son financement, il faut être motivé et en faire de même avec les investisseurs, sans pour autant tomber dans la prostitution éditoriale. Pour ma part, j’ai toujours bien fait comprendre que j’étais le patron à bord. Ils finançaient le projet, mais cela restait MON album. Et du reste, c’est ce qu’ils demandent : une véritable intention d’auteur. Mais depuis qu’il est sorti, les édinautes ne me parlent pas de MON album, mais de NOTRE album, je trouve cela extrêmement touchant. Et croyez-moi, quand on a 260 personnes derrière qui croient en vous, ça donne des ailes et cela implique surtout un sens du devoir, le devoir de ne pas les décevoir, en leur offrant le meilleur album possible. Il n’y a vraiment pas moyen de tricher ou de se cacher, quand on a 260 personnes qui regardent par-dessus votre épaule !
BDE : Vous le rendez bien à vos édinautes, que vous tenez au courant de l’avancée du projet et que vous incluez de façon subtile dans les planches. N’est-ce d’ailleurs pas trop contraignant quand on sait que pour le tome 1 vous avez reçu le soutien financier de 170 personnes ?
NV : Sans compter la centaine qui est venue s’ajouter pour le tome 2 !!! Bon, je vais essayer de tous les caser, mais je ne suis pas certain d’y parvenir. Dans le tome 1, je n’ai pas compté, mais je pense en avoir inclus une soixantaine… J’ai fait en sorte d’insérer leurs noms dans les décors, mais de manière très diffuse, afin de ne jamais altérer la lecture, pour qui que ce soit, eux aussi bien qu’un lecteur lambda qui achèterait son album en librairie. Mais tout cela relève du clin d’œil ludique, sans plus…
BDE : Maudit Mardi était initialement prévu en un tome, pour quelle raison avoir ajouté un second opus ?
NV : Parce que je me suis vite rendu compte que je ne tiendrais pas le tout en 80 planches. J’étais à la planche 40 et j’ai donc décidé de couper le projet en deux, ce qui induisait quelques soucis vis-à-vis des édinautes, qui avaient misé sur un projet, et pas deux. D’autant qu’il a donc fallu rouvrir le budget, avec le risque que les gens retirent leurs billes, alors que le tome 1 était presque terminé. Mais tout s’est bien passé et ils ont tous au contraire salué l’opération. À moi de ne pas les décevoir sur le tome 2…
BDE : Le second tome est annoncé pour août 2012, et ensuite ? Imaginez-vous déjà proposer un nouveau projet à Sandawe ou retrouver un éditeur plus conventionnel ?
NV : Tout cela est encore bien loin, d’autant que mon activité de dessinateur de presse me prend beaucoup de temps et que j’ai signé un contrat de trois ans avec La Renaissance du Livre, qui édite mes recueils de dessins de presse. La BD, je fais cela en plus, mais c’est le dessin politique qui me fait vivre. Donc je ne fais des albums de bande dessinée que si j’en ai vraiment envie et si je peux faire exactement ce que je veux. Je n’ai aucun plan de carrière. Je préfère faire peu d’albums (un tous les trois ans, en moyenne, si l’on excepte ce diptyque), histoire de bien laisser mijoter. Je n’ai jamais voulu faire de la BD « jetable », il faut que je ressente une véritable nécessité personnelle pour en faire un album et passer deux ans de ma vie dessus. Et comme je ne sais faire que du Vadot, j’ai un peu de mal à me couler dans le moule…
En tant que lecteur, spectateur ou auditeur, je veux avoir l’impression que l’auteur n’a pas triché et m’a donné tout ce qu’il avait à me donner. J’aime avoir ce sentiment grisant que le livre que je suis en train de lire l’a été exclusivement pour moi ! Tout en ayant conscience que des milliers de gens pensent exactement la même chose, ce qui fait tout le sel de l’opération. Je me souviens avoir eu cette impression devant des films comme Pulp Fiction ou The Big Lebowski. C’était génial.
Eh bien, quand je fais de la BD, c’est pareil : je raconte mon histoire, mais je dois donner l’impression au lecteur que je lui raconte la sienne.
En revanche, au printemps prochain, je ressors une intégrale de ma première série, Norbert l’Imaginaire, au Lombard, agrémentée d’un album inédit, réalisé en couleurs directes dans les années 90, avant la trilogie, et qui a servi de brouillon de luxe à Norbert. Pour moi, la boucle sera bouclée, car cet album avait lui aussi été refusé par tout le monde à l’époque. On va bientôt réfléchir à cette intégrale avec Olivier Guéret, le co-scénariste, et l’éditeur. Mais ce ne sera que du plaisir, vraiment.
BDE : Merci à vous !
NV : Merci à vous, cher Nicolas Vadeau (ouh làà, quelle schizophrénie !)
Propos recueillis par Nicolas Vadeau.
Interview réalisée le 14 septembre 2011.
© Sandawe 2011/Vadot
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