Après avoir collaboré avec son frère Stéfan, Laurent Astier remet le couvert avec la série Hollywood 1910. Nous sommes donc allés à la rencontre de cet auteur afin d’en savoir plus sur cette nouvelle série.
Chronique de l’album
Retrouvez des extraits en fin d’interview.
Bulle d’Encre : Bonjour Laurent. Cette histoire méconnue que vous abordez, Stéfan et toi, dans Hollywood 1910 n’est pas si ancienne. Comment l’avez-vous découverte ?
Laurent Astier : Tout a commencé en 2009 quand mon frère Stéfan s’est retrouvé le bec dans l’eau quand les éditions Emmanuel Proust ont refusé de lui laisser terminer l’aventure de Negev. Il devait clore sa série avec un troisième tome annoncé en préambule du 2e album, tome dont il avait déjà réalisé le story-board complet. je suis un des privilégiés à l’avoir lu et je peux dire que c’est une chouette fin de récit qu’il est dommage d’avoir laissé en suspens.
Je me suis alors dit qu’il était temps de chevaucher à nouveau ensemble après la belle aventure d’Aven. J’avais depuis longtemps un récit sur le Hollywood des années 40, sur le monde des starlettes, de la mafia californienne inspiré des films noirs de cette période et surtout des romans de James Ellroy qui m’ont marqué au fer rouge.
Lors de mes recherches sur le cinéma à Hollywood, j’avais appris que les premiers films tournés en Californie l’avaient été en 1910.
Voilà que le centenaire du cinéma américain arrivait à grand pas.
J’ai donc appelé mon frère en lui soumettant l’idée d’une série sur Hollywood raconté depuis les origines et qu’il allait traverser le siècle dernier (c’est toujours bizarre de dire ça alors que nous ne sommes pas si vieux).
Mon frère avait lu déjà pas mal de choses là-dessus, mais sans avoir eu l’idée d’en faire quelque chose (en même temps, s’il devait faire un récit d’après tous les livres d’histoire qu’il a dévoré…).
Avec l’objectif de 2010 pour le lancement de la série, ça donnait une motivation de plus.
BDE : Aviez-vous envie de raconter cette histoire sur la création du Hollywood moderne depuis longtemps ?
LA : Tout ça est donc la source du hasard, un projet pharaonique décidé en quelques heures.
Mais à peine avions-nous raccroché que nous nous sommes mis à faire des recherches sur internet, à nous envoyer des liens, des vidéos. L’excitation nous avait gagné tout les deux.
Et puis, je me suis penché sur le concept de la série. Comment allait-on raconter un siècle d’Hollywood ?
Rapidement, je me suis dit qu’un album par décennie serait suffisant pour commencer. Si on allait jusqu’aux années 60, ça faisait déjà 6 albums à réaliser. Ce qui est déjà énorme !!!
On avait donc l’idée, le concept, ne restait plus qu’à monter le projet et le vendre !
Enfin « plus »… ça n’a pas été le plus facile.
On a proposé le projet à un moment de flottement dans l’édition. Les éditeurs avaient reçu les mauvais chiffres des derniers mois et freinaient des quatre fers sur les projets un peu hors normes.
Cette période n’est d’ailleurs pas complètement éteinte…
BDE : Tu es à l’origine du concept de la série, ton frère a travaillé seul sur la réalisation du premier tome, tu prends la relève pour le second. Quelle période comptes-tu mettre en lumière ?
LA : Le deuxième tome se déroulera en 1922. C’est le début d’une période nettement moins idyllique que dans le premier tome. Car, avec les premières affaires de mœurs, les premiers meurtres lié au monde du cinéma, Hollywood va voir la naissance d’une presse à scandale pas si loin de celle qui inonde nos kiosques aujourd’hui.
Le scénario est entièrement écrit. Il l’est d’ailleurs depuis un certain temps et n’attend plus que le feu vert de l’éditeur.
En cette période de crise, il est parfois difficile de faire vivre une série comme celle-ci qui n’est pas stricto sensu « grand public ». Ces derniers temps, la prise de risque est revu grandement à la baisse et les propositions d’avance pour les auteurs aussi…
Nous verrons donc bien si nous pouvons continuer cette belle aventure car j’ai hâte de voir la mise en image par Stéfan !!!
BDE : Quels documents sont nécessaires pour la reconstitution des lieux ?
LA : Les Américains ont construit leur légende en la gravant sur plaque de bromure d’argent quasiment au moment où ils vivaient les événements. Il y a donc nombre de documents à disposition. De plus, aujourd’hui, pas mal de villes mettent en ligne des photos de leur création à nos jours.
Mais sur une période aussi précise, les documents se font beaucoup plus rares et il est surtout difficile de savoir s’ils ont été pris cette année-là précisément.
Surtout qu’à cette époque, le visage d’Hollywood était en perpétuel mouvement. En quelques années, les immeubles, magasins, gargottes ont poussé comme des champignons.
On a donc trouvé quelques livres, quelques sites sur internet qui ont servi de base iconographique. Après, le récit doit prendre quelques libertés avec la réalité de l’époque.
Après la mise en ambiance avec des images de situations, quelques paysages, le plus important pour nous est de laisser rapidement l’action se resserrer sur les personnages qui sont le cœur du récit.
BDE : Plusieurs personnages aussi étonnants que réels traversent le premier album, certains longtemps, d’autres de façon anecdotique. Comment avez-vous fait ces choix de « casting » et qui vous a le plus intéressé ou amusé ?
LA : Pour le premier album, Stéfan voulait vraiment s’approprier le récit. Il a donc travaillé seul, même s’il m’envoyait des choses à chaque étape.
Il faut donc lui demander comment il a fait précisément !?!
BDE : Pour la suite, ton frère et toi allez-vous continuer à alterner un tome sur deux ?
LA : Au moment de définir le concept de la série, je me suis demandé comment on allait se partager la tâche. Mon frère voulait réaliser seul le premier album et, de toute manière, avec L’Affaire des Affaires et Cellule Poison en cours, je n’avais pas vraiment de temps à consacrer à la série pour le moment…
Mais il y avait le récit des années 40 que je voulais réaliser seul.
Il fallait donc qu’on trouve une manière un peu libre. Travailler à quatre mains sur le projet, mais de manière différente sur chacun des albums.
Je me suis donc dit qu’on pourrait alterner les rôles de scénariste et de dessinateur, de séparer le crayonné et l’encrage, les personnages et les décors, voire même de mixer nos dessins… Stéfan était emballé !
BDE : Tu travailles donc également sur le dernier tome de Cellule Poison. Cinq ans après avoir débuté l’aventure, quel sentiment prédomine au moment de conclure ce chapitre ? Plutôt de la tristesse ou une certaine délivrance ?
LA : Je commence tout juste le travail d’écriture sur le dernier alors j’évite de penser à ce qui adviendra lorsque sera venu le moment de laisser Claire, Zoran et les autres sur le bord de la route. Ce sera sûrement un mélange de ces sentiments lors de la séparation. Mais ce ne sont que des personnages de papier. Les adieux douloureux sont ceux qu’on vit dans la réalité et qui nous servent à nourrir nos personnages.
Pour l’instant, je me remets dans le bain après ces deux derniers tomes de L’Affaire des Affaires. Je me replonge dans les méandres de l’histoire afin de clore toutes les pistes que j’avais lancées lors des tomes précédents, répondre à toutes les interrogations de ceux qui ont entamé la série avec moi.
Je sais exactement où je vais car j’ai les images de la scène de fin depuis quasiment les prémices du projet. Mais il me reste à éclairer certaines zones d’ombre, certains flous dans toute cette histoire.
Et surtout une belle phase de travail : les dialogues !
BDE : L’Affaire des affaires devrait également trouver sa conclusion avec le 4ème tome. Comment as-tu rejoint ce projet dont l’histoire tournait autour d’une actualité chaude à l’époque ?
LA : Denis (Robert) et Yan (Lindingre) avait ensemble jeté les bases du projet avec un story-board de plus de 300 feuillets (chapeau bas, Yan, pour cette masse de travail de vulgarisation du travail de Denis !!!) et l’avait proposé à Dargaud.
Mais Yan ne se voyait pas réaliser les trois tomes (qui sont devenus quatre par la force des choses), trouvant que son dessin humoristicochonesque ne correspondait pas. Dargaud a donc proposé le projet à plusieurs dessinateurs.
Philippe Osterman avait reçu mes planches de story-board du troisième tome de Cellule Poison et a fait le lien. Il m’a donc appelé puis envoyé la « Bible » de Yan.
J’ai pas mal hésité car je ne savais pas quelle place j’allais avoir dans ce trio, Yan et Denis étant ami et voisin à Metz…
Mais Denis m’a appelé, puis on s’est rencontré à Angoulême et le courant est passé assez vite entre nous, un truc indéfinissable, comme reconnaître quelqu’un au milieu de la foule…
BDE : Comment as-tu appréhendé le fait de mettre en image un tel sujet ?
LA : Je ne me suis pas vraiment posé de questions par rapport au sujet. J’ai appréhendé le récit en son entier car ce n’était pas que le récit d’une « affaire », pas seulement une enquête, mais une histoire d’homme, complexe et riche.
Et puis, ça a été vraiment un laboratoire à ciel ouvert. Le récit de Denis, et même le story-board du premier tome par Yan Lindingre, me laissait toute latitude à explorer la narration, le découpage, le rythme. Et cette dynamique de récit me donnait l’impression de créer en direct, sans filet. Du coup, mon dessin s’est vraiment délié.
Je voulais qu’il y ait des réminiscences du dessin de presse, je crois que je n’y suis pas vraiment arrivé. Mais je crois que j’ai réussi à raconter les choses les plus fines entre les gens, l’espace, les tensions, les sentiments, etc. Et je crois que c’est ça le plus important !
BDE : Merci à toi!
Propos recueillis par Arnaud Gueury et Nicolas Vadeau.
Interview réalisée le 12 août 2011.
© Treize étrange 2011/L.Astier/S.Astier
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