Rencontre avec Nicolas Fructus – Dessinateur de Showman Killer

«Maintenant, tu maitrises ta technique! Par ta capacité de transformation, tu es le meilleur acteur de la galaxie. Je ne veux pas qu’on t’identifie à un être humain mais à un personnage. Tu vivras maquillé à perpétuité, tu seras l’implacable Showman Killer!»

A l’occasion du festival BD Aix 2011, nous avons eu le privilège de rencontrer Nicolas Fructus. Autour d’une table, nous avons abordé divers sujets afin de vous faire connaître celui qui a donné naissance visuellement au Showman Killer. Mesdames et Messieurs, attachez vos paléo-ceintures, la navette spatiale décolle dans quelques secondes pour la planète Fructus.

Chronique du Tome 1

Retrouvez des extraits en fin d’interview.

Bulle d’Encre : Bonjour Nicolas ! Pour nos lecteurs qui ne te connaissent pas, qui est Nicolas Fructus ?
Nicolas Fructus : Bonjour. Au départ, je suis illustrateur. Je ne travaille pas seulement dans la bande dessinée. Donc, au quotidien, je travaille sur de l’illustration. Cela peut être aussi bien de la couverture, des livres sur des thèmes spécifiques. Là je viens de sortir un livre sur l’univers de Lovecraft. La bande dessinée, c’est un plaisir de travail. Quand j’ai envie de me faire plaisir, comme en ce moment, et bien je fais de la bande dessinée. Je la considère comme un autre travail au même titre que l’illustration, la création de jeu ou le cinéma (NDLR : Nicolas Fructus a travaillé en tant que directeur artistique de la société de jeux vidéo Arxel Tribe et, au cinéma, il fait partie de l’équipe qui travaille sur Arthur et les Minimoys).

BDE : Après une première incursion dans la bande dessinée avec Thorinth, comment est né le Showman Killer ?
NF : Il est né d’abord de l’esprit d’Alejandro Jodorowsky. Il avait développé le scénario et ce sont les éditions Delcourt qui m’ont appelé pour développer le Showman. Cela s’est fait simplement. J’ai passé les tests et, après cela, c’est allé assez vite. Je connaissais un peu Jodorowsky du temps de Bouncer dont j’ai fait les couleurs des premiers tomes. Il était déjà passé à la maison. On avait un peu discuté. On se connaissait donc du temps des Humanos où je faisais Thorinth.

BDE : La collaboration avec lui se déroule de quelle manière ?
NF : La collaboration avec Jodorowsky, c’est plutôt assez marrant. Et ça l’est de plus en plus. Le premier tome de Showman Killer était déjà écrit. Du moins les trois-quarts et il n’y a pas eu le même degré d’intervention que pour le deuxième tome. Donc, pour le premier tome, il n’y a pas eu le ping-pong habituel qu’il peut y avoir entre dessinateur et scénariste. Par contre, à partir du deux, il y a plus eu de jeu de lecture de part et d’autre. C’est à dire que lui a mis le nez dans mon découpage et moi le mien dans son scénario. Il y a eu plus d’échanges. On s’entend bien, on rigole bien. Tout cela pour faire évoluer le personnage. C’est vraiment une volonté conjointe. On retrouve quand même tous les éléments théâtraux chers à Jodorowsky : le pouvoir religieux, le pouvoir féminin, il y a un empereur (ici l’Omnimonarque). Parce que le Showman Killer est chauve et qu’il se bat à mains nues, on est un peu dans la thématique du Métabaron. Mais il y a divergence dès le premier tome. Le Showman est juste purement vénal. Tout a été annihilé, sauf la notion du gain. Le Showman Killer est le reflet extrême de ce qui se passe au quotidien dans notre société. A la différence qu’il règle le problème à l’arme plutôt que pendant une réunion d’actionnaires. On part « d’ô combien, le guerrier est ultime » et c’est comme cela. A la différence du Métabaron où l’on tend vers le guerrier ultime.

BDE : Concrètement, quel est l’impact de tes diverses expériences (illustrations, jeux vidéos, cinéma) sur ton travail en BD ?
NF : Graphiquement, quand j’avais commencé Thorinth, je n’avais pas expérimenté un certain nombre de choses techniquement. J’ai pris beaucoup de plaisir à développer Thorinth mais à partir du troisième tome je me suis retrouvé bloqué. Tout cela parce qu’il fallait que je continue dans la même ligne graphique. Et il est vrai que changer de charte graphique de but en blanc en plein milieu d’une série ce n’est pas possible. Et Showman Killer m’a permis, comme Thorinth était fini, de remettre à plat le niveau technique auquel j’étais à ce moment-là. Pour essayer de le pousser comme je le voulais ou comme j’aurais voulu le faire sur les deux derniers tomes de Thorinth. C’est ce qu’apportent tout le travail en production, les essais. Ils permettent de pousser une image encore plus loin que l’on ne peut le faire en BD. Après, ce qui est intéressant, c’est d’adapter ces techniques beaucoup plus laborieuses et lentes dans un autre exercice de style un peu plus rapide, la BD, mais qui permet d’aboutir ou d’arriver à une densité d’image quasiment comparable à ce qu’il y a en illustration.

BDE : Tu utilises donc beaucoup l’informatique dans tes conceptions.
NF : Le premier tome est même exclusivement fait sur informatique. Même le dessin, c’est malheureusement entièrement dématérialisé. J’ai juste fait un découpage qui est en format A5 avec des patatoïdes juste pour faire les volumes. Ensuite, j’ai continué les planches directement sur machine. Pour le deux, je me suis ré-amusé à faire le découpage sur un format quasiment A3. J’avais envie de plus m’amuser sur certaines parties. Et surtout pour ne pas avoir à tout faire sur machine car j’en avais un peu marre. Je cherche toujours ces jeux d’équilibre qu’il y a entre la matière et les retouches sur machine. Le troisième tome, je pense, sera développé un peu comme le second car c’est quand même agréable.

BDE : Tu fais un retour à la matière.
NF : Oui, c’est un retour à la matière. Ne serait-ce que le travail au crayon, j’adore. Donc, quand je peux le retrouver, je le fais. Ma spécialité en informatique étant aussi que les illustrations finales ne ressemblent pas à de l’informatique.

BDE : Ton choix de travailler sur informatique te procure-t-il du plaisir ?
NF : Oui, c’est un plaisir. A la différence d’une pièce unique, une bande dessinée c’est un corpus de 40 à 50 planches qui fait que, jusqu’à l’impression, l’informatique est le meilleur support permettant de suivre de bout en bout le développement de l’album. Et qui permet d’avoir le plus de respect du travail d’origine. On dit souvent, c’est génial un original, mais avec la limite que l’original sera toujours plus beau que ce qui sera imprimé. Je considère que mon original numérique est plus beau que ce qui est imprimé. Mais il y a plus de correspondance et on peut mieux maitriser le portage de l’écran jusqu’à l’imprimerie. Je trouve cela essentiel. Car si œuvre il y a, c’est l’album. Ce n’est pas une case ou une planche. C’est l’album, l’histoire. Le travail d’illustrateur ou de dessinateur ne se limite pas au dessin. C’est aussi la gestion des couleurs, d’achromie, le suivi jusqu’à l’imprimeur et cela contribue à la fabrication.

BDE : Showman Killer T2 est prévu pour 2011, tu confirmes cette information ?
NF : Je confirme. La sortie est prévue entre septembre et novembre 2011. Disons plutôt novembre pour des raisons d’installation. Mais il sera fini fin juin, graphiquement.

BDE : As-tu d’autres projets dans la bande dessinée ?
NF : Je fais toujours tout en même temps. C’est un peu le problème. Quand je fais de la BD, je ne peux pas tout faire. La BD j’y reviendrai, seul comme Thorinth. J’ai d’autres projets de collaboration. Le tout, c’est que je ne veux pas partir dans des séries de dix albums. Cela ne m’intéresse pas. Showman Killer est en trois tomes. On en a déjà discuté avec Alejandro, on sait ce que l’on veut faire au delà du trois. Mais en sachant qu’à chaque fois ce seront des trilogies ou des histoires fermées. Cela permettra de faire l’armature de ce qu’est l’univers Showman. C’est un peu ce qu’il a développé avec Bouncer et François Boucq. C’est un peu ma volonté aussi. Je préfère dix fois cette approche de la série. Même si on fait vingt albums, je ne peux pas présupposer de mon état d’esprit dans dix ans. Ni vis à vis des lecteurs, ni vis à vis du scénariste. Une bande dessinée, quand tu es dessinateur, tu bosses dessus pendant un an. C’est beaucoup de sueur. Peut-être que dans dix ans le changement graphique ne m’intéressera plus du tout.

BDE : Pourrais-tu nous dire quelques mots sur ta collaboration avec François Boucq ?
NF : François est quelqu’un de très exigeant. Sur les trois tomes, il était très près de mon travail. Les délais étaient à chaque fois très courts et donc il fallait faire les couleurs au plus vite, les envies éditoriales de sortie faisant que c’est le coloriste qui est mis sous pression. C’est donc beaucoup de travail et c’est surtout moins reconnu. C’est cela qui est gênant. Au-delà de cela, je suis très heureux d’avoir travaillé sur les planches de Boucq qui sont fabuleuses. Et dans l’absolu, je ne les aurais même pas mises en couleur tellement c’est parfait. Travailler avec lui est passionnant. C’est quelqu’un de tellement grand graphiquement et de tellement pertinent. J’ai été touché de travailler avec lui.