Deux figures de l’islamisme radical ont eu droit à leur biographie traitée avec humour, aux éditions 12bis : Oussama Ben Laden, le chef d’Al-Qaida, et Mahmoud Ahmadinejad, le Président iranien. Au dessin, un auteur déjà bien connu dans le monde de la BD, Philippe Bercovici, pilier du journal Spirou avec sa série des Femmes en Blanc, et au scénario, Mohamed Sifaoui, journaliste indépendant. C’est à ce dernier que nous avons décidé de poser quelques questions : sujet à risque, enquête et BD, un cocktail pouvant s’avérer explosif.
Chroniques de Ben Laden dévoilé et Ahmadinejad atomisé
Bulle d’Encre : Bonjour, merci d’avoir accepté de répondre à nos questions. Avant de commencer, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Mohamed Sifaoui : Je suis journaliste indépendant, écrivain et réalisateur de documentaires et reportages. Je travaille depuis 23 ans sur les questions liées à l’extrémisme religieux en général et à l’islamisme en particulier. Et je pense que je peux me targuer également depuis une année du statut de scénariste de bandes dessinées.
BDE : Vous êtes l’auteur de deux albums, l’un sur Ben Laden, le second sur Ahmadinejad, le président iranien. Pourquoi avoir fait le choix de traiter ces deux personnages sous l’angle de la BD ?
MS : J’ai voulu entrer dans le monde très fermé de la BD par des sujets que je maîtrise : le terrorisme et l’islamisme. Par ailleurs, ce choix est motivé par le fait qu’à mon sens ces deux personnages – Ben Laden et Ahmadinejad – restent méconnus en occident malgré la surmédiatisation qui les entoure. En réalité, je les ai traités – et notamment Ben Laden – en utilisant tous les supports (journaux, télés, radios, livres, etc.), je pense que la BD est un médium supplémentaire qui permet de toucher un autre public, parfois plus jeune voire moins politisé. Par ailleurs, je crois que la satire est un excellent moyen pour exorciser nos angoisses parce que justement ces personnages font naître en nous des sentiments anxiogènes.
BDE : N’était-ce pas trop difficile de réaliser et de concrétiser ces projets, notamment parce que vous n’étiez pas à la base connu dans le milieu de la BD et surtout parce que les sujets traités sont assez sensibles ?
MS : Avec Ben Laden ce fut un coup d’essai. Je me disais que si je ratais la BD, d’un point de vue scénaristique, j’arrêtais là. Mais en même temps, je savais qu’en m’appuyant sur l’expérience des dirigeants de 12bis et sur le savoir faire de Philippe Bercovici, je pouvais réussir mon entrée dans le monde de la BD. C’est heureusement ce qui s’est produit. Très largement, Ben Laden dévoilé a eu de très bonnes critiques tant en France qu’en Belgique et les lecteurs nous ont fait confiance. Raison qui m’a poussé à poursuivre l’aventure en enchaînant avec Ahmadinejad atomisé.
BDE : Comment s’est passée la collaboration avec Philippe Bercovici, de vos recherches à la réalisation BD ?
MS : Qu’est ce que je peux dire de Philippe Bercovici sans paraître démagogique ? Si c’était une femme, je l’aurais demandé en mariage. Voilà qui résume, à mon sens, la nature de cette collaboration bien qu’il n’y ait rien de sexuel entre nous. Du moins pour l’instant !
Plus sérieusement, je dirai que j’ai été agréablement surpris par la culture politique de Philippe et la finesse qui est la sienne. C’est quelqu’un qui a énormément apporté aux deux albums. Le plus drôle, c’est que nous ne sommes pas toujours d’accord politiquement. Et malgré ça, il y a eu une parfaite entente parce que je pense qu’il y a entre nous un grand respect et une réelle amitié, voire une complicité, qui est née de cette collaboration.
BDE : Que ce soit dans Ben Laden dévoilé ou dans Ahmadinejad atomisé, il ne semble y avoir guère d’espoir concernant l’avenir : d’un côté, nous avons des fanatiques religieux prêts à tout, de l’autre, nous avons un Occident parfois complice, souvent aveugle. N’est-ce pas une vision trop sombre de la réalité ?
MS : Oui ! Il est vrai que de manière volontaire, nous avons voulu être quelque peu alarmiste en offrant des visions souvent apocalyptiques. Je pense – et Philippe est d’accord avec moi – que les gouvernements qui régissent les pays démocratiques doivent réagir face à l’extrémisme de manière générale et face à l’islamisme en particulier.
A mon sens, et c’est malheureusement ce qui se produit aujourd’hui, on répond à ce fléau avec un discours souvent xénophobe si ce n’est raciste. On mélange tout. Les amalgames sont devenus légions et on a laissé les extrêmes droites européennes – voire israéliennes – apporter une réponse aux islamistes. Pour moi, le danger est là : qu’on se retrouve dans une situation où deux extrémismes s’alimentent mutuellement. Or, il faudrait que les démocrates prennent conscience que ce combat est le leur. Voilà aussi pourquoi ces BD sont engagées. Et voilà pourquoi elles sont traversées par un vent de pessimisme. Réagissons ! Réagissons ! Et ne laissons pas les extrémistes nous piéger et piéger le vivre ensemble…
BDE : Le choix des sujets ne doit pas vous faire recevoir que des lettres de fans, comptez-vous en rester là ou souhaitez-vous aborder d’autres thèmes, toujours sur ce principe d’enquête et de BD satirique ?
MS : Oui mais c’est une vieille histoire. Les extrémistes, tous les extrémistes, ne m’aiment pas et je le leur rends bien. Toujours de manière civilisée et démocratique, cela dit. Je suis honoré d’avoir les fans que j’ai : des laïques, des démocrates, des féministes, des humanistes, etc.
Les autres, militants fachos ou excités islamistes, ne m’intéressent pas. Ceux-là, je les combats en tant que citoyen engagé contre les obscurantismes.
Alors oui je veux aborder d’autres thèmes : les extrémistes juifs par exemple. Parce que là aussi il y a un problème. La chape de plomb et le terrorisme intellectuel n’ont jamais été mon truc et, en tant que militant antiraciste, je ne cèderai jamais au chantage de « l’islamophobie » brandi par des intégristes musulmans ou celui de « l’antisémitisme » brandi très souvent par des excités de la « cause israélienne ». J’aimerais bien trouver un éditeur qui accepte de me publier une BD enquête sur Benjamin Netanyahu… Le petit Netanyahu comme je l’appelle parce que c’est un chef d’État qui est un véritable extrémiste nationaliste, et qui porte un costume trop grand pour lui, notamment dans le cadre du conflit qu’il a à gérer. Il est d’autant plus intéressant à traiter de manière satirique qu’il est flanqué d’un premier ministre, Liberman, membre de l’extrême droite israélienne et ancien videur de nuit. Je pense surtout qu’il est entrain de vider la diplomatie israélienne de toute intelligence… Ce serait donc sympa de faire quelque chose sur ces zozos…
BDE : Pour conclure, quels sont vos prochains projets ?
MS : Avec Philippe Bercovici, Caroline Fourest et Fiammetta Venner, nous préparons une BD pour 2011 qui traitera du Pape Benoît XVI. Le Pape crucifié est un bon titre à mon sens pour raconter de manière toujours satirique la vie de Ratzinger et de l’Église durant ces 80 dernières années.
Propos recueillis par Anthony Roux.
Interview réalisée le 16 juin 2010.
© 2010 12bis/Sifaoui/Bercovici
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