Voilà quelques mois qu’ont été annoncés les nouveaux repreneurs de la série classique Spirou. Fabien Vehlmann et Yoann auront donc la tache de succéder à Jean-David Morvan et José Luis Munuera, dont les derniers albums étaient plus que controversés. Alors qu’ils avaient eux-mêmes failli succéder à Tome & Janry, les deux auteurs avaient inauguré la collection de one-shots avec l’excellent Les Géants pétrifiés. Si le Tome 51 ne sortira qu’en septembre 2010, nous avons eu l’envie d’interroger Yoann, de passage au festival de Blois, sur ce difficile exercice de reprise d’une série mythique. En toute décontraction mais non sans ressentir la pression, le dessinateur nantais est revenu sur cette aventure qui, même sans jungle, est plutôt périlleuse !
Chronique du one-shot Tome 1
Bulle d’Encre : Bonjour, nous sommes ravis de te rencontrer au sujet de ta reprise de la série Spirou avec Fabien Vehlmann.
Yoann : Merci, je n’ai justement pas encore eu l’occasion de faire une interview à ce sujet !
BDE : Pourtant, avec Les Géants pétrifiés, tu avais inauguré la série des one-shots. Quel est maintenant ton regard sur cette collection ? A-t-il changé depuis que tu sais que vous allez reprendre avec Fabien la série classique ?
Y : Je trouve cette idée bonne car, quand on a été contacté par Dupuis, ils cherchaient une équipe pour reprendre Spirou. Tome & Janry n’avaient pas fait d’album depuis 7 ans, et il y avait des incertitudes quant à la reprise. Chez Dupuis, qui est une grande maison d’édition, avec beaucoup de personnes, ils avaient des avis différents et du mal à parler d’une seule voix. Avec Fabien, on leur a suggéré cette idée de collection avec un couple d’auteurs par album, pas forcément pour trouver les repreneurs d’ailleurs mais pour que Spirou reste sur le devant de la scène et garde une actualité.
BDE : Cette idée des one-shots vient de vous deux ?
Y : Elle était dans l’air et avait déjà été suggérée dans les années 80. On l’a ressortie car ça nous semblait une évidence, tout le monde l’a eue à un moment donné donc on ne la revendique pas. Avec le recul, on se dit qu’on a eu raison. Ça nous a permis de reprendre la série classique, et ça a aussi permis d’offrir au public des visions différentes de ce que sont Spirou et Fantasio, de voir que ce ne sont pas des personnages monolithiques, monoformes. Avec les approches de Franck Le Gall, Emile Bravo ou Olivier Schwartz, ça devient une boule à facettes. Spirou est contemporain, vivant et on a toujours des choses intéressantes à faire avec lui.
BDE : Passer ensuite à la série classique doit être bien plus contraignant, avec les références, les codes. Comment appréhendes-tu l’attente des fans, la pression ?
Y : L’attente des fans, c’est plutôt secondaire. Notre attente à nous passe d’abord, à savoir ce qu’on veut faire de Spirou. Est-ce qu’on veut en faire du fric ou est-ce qu’on veut faire quelque chose qui nous tienne à cœur… Il y a aussi l’attente de l’éditeur pour qui c’est un enjeu économique important. La série a un peu chuté au niveau des ventes depuis quelques années, et pas seulement à cause du travail de la dernière équipe, car le contexte économique a touché la BD. On a un peu pour mission délicate de remonter les ventes. Il faut donc qu’on s’amuse et qu’on y trouve notre plaisir, et qu’on remonte les ventes, double challenge ! Si en plus il faut se positionner par rapport à une certaine cible… On essaie de ne pas trop y penser.
Si on a été choisi, c’est parce qu’on veut rester dans le style des aventures de Spirou. Faire comme Franquin dans l’esprit, mais pas redessiner pareil ni le citer en permanence ! On connait les fondations : l’humour, l’aventure, le fantastique, avec des personnages colorés. On veut toucher ça du doigt car ce sont des formules impérissables, c’est ce qui fait fonctionner Indiana Jones, James Bond, etc. Les précédents albums nous semblaient incomplets sur ce point. Avec Morvan et Munuera, aussi intéressants qu’ils soient, ils manquaient d’humour, ça créait un déséquilibre. Tome & Janry, eux, ont eu tendance à faire du Spirou potache ou au contraire faire du Spirou noir et abrupt avec Machine qui rêve. Mais ce sont des auteurs marquants qui ont lancé des pistes.
BDE : Au sujet des codes (le costume de groom notamment), en tenez-vous compte ou allez-vous vous en détacher ?
Y : On essaie de ne pas trop s’occuper des fans, qui sont des spécialistes hyper-subjectifs et ont leur vision. Certains préfèrent une époque, celui de Tome & Janry ou celui de Fournier, ce n’est pas si représentatif du public général qui lit Spirou. Spirou, c’est ce personnage rouquin avec ce chapeau et cet habit de groom malgré tout. C’est pour ça qu’avec Fabien on a décidé de lui redonner cet habit de groom. Mais on a trouvé une raison pour laquelle il le porte, ce n’est pas anodin : il a cet habit car il est sous contrat avec les éditions Dupuis, dont il est l’image, et il doit le porter dans certaines circonstances. On va s’amuser avec ça et faire en sorte qu’à chaque album qu’on va faire, au moment où il voudra enlever cet habit de groom qui le gonfle quand même, il y aura un truc qui fera qu’il ne pourra pas et sera embarqué dans une aventure avec ce costume. On va trouver comme ça des galipettes rigolotes pour prendre du recul par rapport à ça.
Il y aussi la récurrence de certains personnages dont on ne peut pas se passer, comme Champignac.
BDE : A ce sujet, Janry (voir son interview ici) nous avait confié avoir été surpris de voir un personnage comme le Comte dire « cool » dès le premier album de Morvan et Munuera !
Y : Oui, il y a un minimum de choses à respecter. Fabien et moi, nous sommes des passionnés de Spirou, je lisais ça gamin, c’est ce qui m’a donné envie de dessiner. Je suis quasiment un spécialiste de Franquin, j’ai une connaissance assez pointue de son univers. Il y a des choses qu’on ne peut pas changer – faire parler Champignac comme ça, ce n’est pas logique – comme la psychologie des personnages. Zorglub, qu’on adore, n’a pas été tellement utilisé depuis Franquin finalement alors que pour moi il a un potentiel incroyable ! C’est l’anti-Champignac, c’est un méchant mais pas vraiment, il est très ambigu.
« L’éditeur nous préserve, en voulant de la qualité avant la quantité… »
BDE : Les Géants pétrifiés permettaient justement de sortir de ces codes en offrant plus de liberté.
Y : Bien sûr. A l’époque, on pensait qu’il n’y aurait qu’un album, on sortait d’une période où Dupuis nous avait demandé de faire des essais pour reprendre la série. Devant leur indécision, on avait laissé tomber, puis Morvan et Munuera avaient été choisis. Pour le one-shot, on avait donc eu l’envie de faire le maximum, l’idée était de moderniser le personnage comme il était demandé pour la reprise. On a donc poussé à fond en s’amusant puisque ça devait être le seul. Ce qui a donné un graphisme plus anguleux, des personnages plus contrastés dans les caractères, mais l’esprit de la série était là. Pour nous, c’était des perspectives qu’on traçait et qui nous servent aujourd’hui, puisqu’on va les utiliser. En lui laissant son habit de groom, car visuellement c’est une identité très forte, immédiatement repérable. Et puis c’est classe ! Le voir déchiré dans la jungle, c’est sexy !
BDE : C’est bon pour cibler les lectrices !
Y : Justement c’est rigolo car, pour le one-shot, le nouveau directeur éditorial m’a dit : « tu lui fais le cul ressorti à Spirou, tu serais pas un peu… homo ? » Je lui ai dit que les lecteurs de BD étaient essentiellement masculins, et on a envie d’avoir un peu de lectrices sur Spirou ! Moi, j’ai eu des nanas qui venaient me voir en me remerciant d’avoir fait un beau cul à Spirou. C’est pas pour moi que j’ai fait ça, c’est pour elles ! C’est intéressant que le personnage soit un peu sexué, c’est aussi contemporain. Les années 50 sont terminées. Bien sûr, il ne va pas se taper des tas de nanas d’un coup, mais il doit évoluer car ça devient ennuyeux.
BDE : Janry nous avait aussi dit qu’il était prêt à apporter son expérience et ses conseils à la nouvelle équipe, chose qu’il n’avait pas eu l’occasion de faire avec Morvan et Munuera. En avez-vous eu l’opportunité ?
Y : Un peu, oui ! Je le connais depuis plus de 5 ans, et on en a parlé tout de suite, même à l’époque des one-shots. C’est devenu un grand ami, on a de longues conversations sur Spirou. C’est toujours important pour lui, et même sans partager son point de vue sur tout – heureusement, sinon on ferait du Tome & Janry – on échange beaucoup sur la question. Il avait des doutes à un moment donné, en se demandant si on n’était pas des mercenaires, mais on a son soutien pour la reprise. Il a vu qu’on était sincère et que notre passion était réelle. J’ai d’ailleurs souvent le nez dans ses albums, car son dessin est formidable. Je prends toujours des leçons en le lisant.
BDE : Il avait aussi confié avoir fait quelques erreurs et avoir attendu des années pour se sentir maître de Spirou. Comprends-tu ce sentiment ?
Y : Oui, car en ce moment je patauge ! C’est une sacrée pression d’arriver à se sentir à l’aise, ça ne vient pas comme ça. Heureusement l’éditeur nous préserve, en voulant de la qualité avant la quantité. Il nous dit de prendre notre temps, en repoussant la sortie plusieurs fois. L’album était annoncé pour Angoulême, puis pour avril et maintenant septembre 2010. C’est pour qu’on soit à l’aise et eux aussi, pour bien préparer le marketing et relancer la machine.
BDE : En échange, te consacres-tu maintenant uniquement à Spirou ou reste-t-il du temps pour d’autres albums ?
Y : Non, c’est Spirou qui prend tout mon temps. C’est un peu frustrant car j’avais d’autres projets qui vont rester dans les tiroirs. Ceux à qui j’en avais déjà parlé me demandent l’avancée, mais c’est impossible. Et ça fait déjà 2 ans.
Peut-être que quand on aura fait les deux premiers albums, je prendrai un peu de temps pour poursuivre Toto l’ornithorynque – j’aimerais bien – mais je dois me sentir beaucoup plus à l’aise avec la série. Spirou, c’est la priorité, il y a des enjeux derrière, des présidents de la République qui peuvent sauter ! (rires)
BDE : Où en est l’album ?
Y : 30 pages sont faites. C’est une bonne moitié, puisqu’il y en aura 54. Mais ce n’est pas suffisant !
BDE : L’accord sur le scénario s’est fait assez facilement ?
Y : Oui, on a une communauté d’esprit et une complicité avec Fabien qui sont très agréables. C’est du ping-pong, on rebondit sur les idées de l’autre. A l’époque des Géants pétrifiés, Fabien m’avait lancé quelques pitchs, avec plusieurs bonnes idées. On se connaissait déjà un peu, mais on apprend à se connaître encore mieux, et surtout on s’autorise à rire et s’amuser là-dessus, sans tomber dans les blagues potaches. On veut que les gens en aient pour leur argent. Pour leur attente aussi.
BDE : Alors, rendez-vous en septembre ?
Y : Oui. C’est loin, mais je crois que je vais le finir en janvier. Ce que je vais faire, c’est que je vais enchainer le deuxième tout de suite, ce qui fait qu’il y aura moins de délai entre le Tome 51 et le Tome 52. C’est le plan d’attaque que je me suis fixé. La suite est déjà bien avancée, sur l’histoire, le design, plein de trucs.
BDE : Merci beaucoup et bon courage !
Y : Merci à vous !
Propos recueillis par Nicolas Raduget et Arnaud Gueury.
Interview réalisée le 21 novembre 2009.
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© Dupuis/Vehlmann/Yoann
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