Nous avons eu l’immense honneur et plaisir de rencontrer une des références du 9ème art, en la personne d’Enrico Marini, afin de lui poser des questions au sujet de la première série qu’il scénarise, les Les Aigles de Rome.
Chronique du Tome 2
Retrouvez quelques extraits de l’album en fin d’interview.
Bulle d’Encre : Bonjour Enrico ! Les Aigles de Rome est votre première série en tant que scénariste, y a-t-il un aspect de ce métier que vous souhaiteriez améliorer en particulier ?
Enrico Marini : Oui, je pense qu’il y a encore pas mal de choses que l’on peut améliorer, le métier de scénariste est de toute façon un métier à part, un métier que j’apprends. J’ai toujours un peu écrit pour moi des petites histoires sans aucune ambition éditoriale. Avec Les Aigles de Rome, c’est la première fois que je me lance dans le scénario, je dois apprendre les ficelles du métier et je suis donc toujours plus à l’aise au dessin que je pratique depuis 25 ans. J’essaye de me documenter comme il faut mais sinon, après seulement deux albums, je n’ai pas encore assez de recul par rapport à mon travail pour pouvoir juger de telle ou telle chose. Dans le dessin, j’ai l’impression que l’on voit plus vite ce qui ne va pas, on peut moins tricher qu’avec le scénario qui est beaucoup plus subtil.
BDE : Stephen Desberg me confiait il y a deux ans que vous étiez resté assez secret sur les détails de votre projet des Aigles de Rome. N’avez-vous pas ressenti le besoin de demander conseil à un scénariste d’expérience ?
EM : Non, je ne voulais absolument pas. Le problème est que si l’on commence à demander des conseils le projet perd son côté personnel. Je voulais voir de quoi j’étais capable seul et, concernant les conseils, je l’ai fait lire à des copains et à l’éditeur. J’ai eu des retours qui m’ont plutôt motivé, ce type de retour peut aider mais demander des conseils à un scénariste serait plutôt utile quand on a un trou, quand on est bloqué sur une séquence et je n’en ai pas ressenti le besoin sur Les Aigles de Rome. Je voulais vraiment être seul sur ce projet.
BDE : C’est un projet que vous avez en tête depuis de longues années. Depuis quand exactement ?
EM : Je pense que cela date de la sortie du film Gladiator qui a certainement été un déclencheur, il y a aussi des romans historiques que j’ai lus, des biographies sur l’époque des Empereurs, ainsi que la série Rome qui m’a donné envie d’aller dans cette direction même si j’avais déjà commencé à travailler sur Les Aigles de Rome quand j’ai découvert cette série TV. J’avais lu justement des textes sur ce massacre qui est arrivé dans la forêt Germanique où Arminius, l’un des personnages principaux de la série, a battu trois légions avec ses alliés et confrères barbares. J’ai trouvé que ce personnage, on n’en parlait pas beaucoup comparé à ce qu’il avait accompli et tout ce que l’on sait sur lui provient de sources romaines. Tout ce que j’ai découvert sur ce personnage m’a donné envie d’écrire une histoire. En Allemagne c’est tout de même une sorte de héros national, tout comme Vercingétorix en France, c’est le sauveur de la nation, il a tout de même repoussé les Romains. La Germanie n’aurait pas pu se développer comme ça sans son intervention, il a en quelque sorte changé le cours de l’histoire de l’Europe, c’était un personnage sur lequel on ne savait pas beaucoup de choses et tout cela laisse la possibilité d’inventer, d’amener une vision différente. Je cherchais vraiment un sujet qui m’intéressait et j’ai mis une à deux années avant de me lancer, j’ai pris le temps d’accumuler une certaine documentation sur le sujet.
BDE : N’est-ce pas compliqué de créer un récit tout en devant respecter certains faits historiques ?
EM : Non pas dans ce cas là, je prends ça comme une toile de fond, ce n’est pas le massacre ou la bataille qui m’intéresse mais plutôt les deux personnages, le conflit qu’il peut y avoir entre les deux amis. C’est le thème de l’amitié qui m’intéresse, l’amitié qui peut justement se briser à un moment, d’où un conflit nait, et voir s’il y a moyen de réconcilier ces deux personnages ou pas : est-ce que c’est perdu à jamais, comment ils vont s’opposer… J’essaie de me concentrer sur ces deux personnages et bien sûr il y a toute la complexité des événements qui ont eu lieu à l’époque. Après il y a d’autres personnages qui sont importants, certains ont existé, d’autres sortent de mon imagination parce que j’en ai besoin pour raconter l’histoire. Mais en règle générale j’essaie quand même d’être assez juste par rapport à ce qui s’est passé à l’époque mais je ne suis pas un fanatique du réalisme non plus et je veux conserver une certaine liberté.
BDE : Vous avez déclaré que vous étiez satisfait de l’ensemble des planches constituant ce tome 2. Des planches réussies, c’est quoi pour vous ?
EM : Je ne suis jamais vraiment satisfait mais je trouve que le tome 2 est un peu plus riche, le fait que l’intrigue se passe essentiellement à Rome fait que je me suis régalé à dessiner les extérieurs, les marchés, l’architecture… Je pense également aux ambiances de la ville qui vit, qui est colorée. Je me sentais également un peu plus à l’aise que sur le tome précédent, j’ai d’ailleurs passé un peu plus de temps sur le second opus.
BDE : Autre déclaration de votre part, vous avez dit, je cite, que vous vous étiez juré de ne pas dessiner de jolies filles dans cette série. Mais un album d’Enrico Marini sans jolies filles ça n’est pas du Marini ?
EM : En fait je me suis dit que j’allais essayer de sortir des stéréotypes mais c’est vrai que je n’ai pas réussi à le faire cette fois encore, cela demande encore du travail. Une fille qui n’est pas stéréotypée peut être très jolie aussi et être très intéressante donc moi je veux aller dans cette direction. Là j’ai loupé mon objectif, si je devais le refaire je changerais cet aspect. Non pas que les jolies femmes gênent la plupart de mes lecteurs mais l’idée n’est pas non plus de faire des filles moches comme le fait Hermann alors que je pense qu’il est capable d’en dessiner comme à l’époque de Comanche. De mon côté, ça vient naturellement, je m’excuse d’avoir fait des jolies filles (rires).
BDE : Sur les deux premières couvertures, vous mettez en avant Marcus, on sent que la tendance pourrait rapidement s’inverser.
EM : C’est vrai que Marcus est plus mis en avant dans ce tome 2, il vit une histoire d’amour et Arminius passe un peu au second plan. Ce dernier commence d’ailleurs à disparaître même si on va le retrouver dans les prochains tomes, je voulais que l’on se concentre sur Marcus pour comprendre ce qui va se passer par la suite. Je voulais que l’on s’attache à son histoire parce qu’il va servir un peu de personnage témoin de ce qui va arriver par la suite et qu’Arminius soit plus mystérieux.
BDE : De quel personnage vous sentez-vous le plus proche ? Marcus ou Arminius ?
EM : Les deux me plaisent. Il est vrai que là je donne un peu plus d’importance au Romain mais, vu qu’il a du sang barbare, c’est un peu fait exprès d’avoir un personnage qui se retrouve un petit peu entre les deux lignes de par ses origines, Marcus devra faire des choix. Je trouve autant intéressant Marcus qu’Arminius mais pour des raisons différentes, ce dernier est un personnage beaucoup plus charismatique, plus ambitieux.
BDE : Les Aigles de Rome s’annonce-t-elle comme une série sur plusieurs cycles ou non ?
EM : J’ai prévu quatre tomes mais je vais vraisemblablement en faire cinq, je ne suis pas encore certain de développer un côté des événements plus amplement. Je m’interroge encore mais ça ne change pas l’histoire en soi, ça n’est pas pour gagner plus d’argent, c’est quelque chose qui me demanderait beaucoup plus de travail mais qui pourrait être très intéressant. Cela pourrait donner un résultat que je n’ai encore jamais vu ailleurs mais qui va être un peu difficile à réaliser, je ne veux pas trop en parler parce que sinon je vais un peu trop m’engager.
BDE : Allez-vous enchaîner avec un nouveau tome du Scorpion ?
EM : J’ai commencé le travail sur le prochain Scorpion. Si tout se passe bien, il sortira en juin, sinon au plus tard en septembre. Je vais alterner tant que je peux Les Aigles de Rome et Le Scorpion. J’aimerais bien avancer plus vite sur Les Aigles de Rome mais cela fait longtemps que l’on a commencé Le Scorpion et dans le neuvième opus il y a de chouettes choses qui vont se passer. On va découvrir le secret qui entoure la marque qu’il porte sur l’épaule, l’histoire autour de Trebaldi va se resserrer et d’ici deux albums on va en terminer avec ce dernier.
BDE : Et qu’en est-il de Gipsy, le reverrons-nous prochainement ?
EM : J’ai encore deux scénarios dans le tiroir mais pour lesquels je ne suis pas pleinement satisfait par la fin de l’histoire, donc il y a encore un peu de travail. J’ai convenu avec Thierry Smolderen de me concentrer actuellement sur Le Scorpion et Les Aigles de Rome, il comprend que j’ai besoin de ça en ce moment. Je suis très attaché à Gipsy mais il faudra encore un peu de patience avant de retrouver une de ses aventures.
BDE : Merci à vous !!!
Propos recueillis par Nicolas Vadeau
Interview réalisée le 10 octobre 2009.
© Dargaud/Marini
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