Rencontre avec Christophe Bec – Auteur de Prométhée et scénariste de Carthago et Ténèbres

« Ton trisaïeul a vu de la neige sur ces montagnes. Il a connu un temps où les hommes vivaient en paix. Il régnait sur des terres prospères… C’était avant l’apparition de ces créatures! En ces temps-là, nul besoin était de se terrer comme des chiens derrière de hauts murs. Tout autour de ces remparts, il y avait des champs de maïs et de blés à perte de vue… Aujourd’hui, tout n’est plus que feux et ténèbres. »

Scénariste prolifique et reconnu pour son talent, Christophe Bec aime varier les genres. Redevenu auteur complet sur une série d’anticipation ambitieuse et complexe (Prométhée), il demeure scénariste sur d’autres titres reconnus, comme Carthago, Bunker, Pandémonium ou Deus. Récemment, il s’est même permis un retour aux sources de l’heroic fantasy avec Ténèbres, une série qui va à nouveau mettre en valeur un dessinateur de talent, comme Christophe sait en trouver. Pour nous parler de tous ses projets, il a accepté de répondre à nos questions.

Chroniques de Prométhée T1, Ténèbres T1 et Carthago T2

Retrouvez les premières pages des albums en fin d’interview.

Bulle d’Encre : Bonjour ! Ténèbres est ta première incursion dans le domaine de l’heroic fantasy. Attendais-tu cela spécialement ?
Christophe Bec : Ténèbres n’est pas exactement ma première incursion dans l’Heroïc Fantasy, mon tout premier album, Dragan, avec Eric Corbeyran au scénario, appartenait déjà à ce genre qui était déjà pas mal rebattu en Bande Dessinée. C’était une première œuvre immature avec énormément de défauts – comme beaucoup de premiers albums – et avec beaucoup trop d’influences voyantes. Corbeyran lui aussi était à l’époque un jeune auteur encore en devenir, même s’il avait déjà publié quelques albums. Il n’y a eu qu’un seul tome, faute de ventes, il faut bien avouer que l’album n’est pas très bon, lui comme moi avons fait beaucoup mieux depuis ! Ensuite, les éditions Soleil m’ont orienté vers de la BD historique avec Simon Rocca (Georges Ramaïoli) au scénario, ça a été la plus grande erreur de toute ma carrière ! Je suis tombé sur un scénariste aigri et de mon point de vue sans grand talent, qui a plus enfoncé le jeune auteur que j’étais qu’autre chose, me faisant porter sur mes seules épaules l’échec de la série. Son scénario n’était que le pompage intégral d’un vieux film des années 50 qui n’avait pas plus d’intérêt que ce qu’a donné la BD au final. Je crois qu’il a fini sa carrière en auteur ringard et grillé chez tous les éditeurs, pas un seul de ses albums – de la « BD à papa » – ne restera probablement, car c’était un « suiveur » qui n’a jamais su dépasser l’influence du Maître Jean Giraud. Et pour moi, cette fin peu enviable n’est que justice : on récolte ce que l’on sème !

Mais cela m’a servi par la suite, j’ai compris qu’il fallait que je prenne les choses en main et que je fasse de la BD actuelle, qui me correspondait, qui aille dans les genres que j’affectionnais : la SF, le Fantastique, l’Horreur ou des récits plus personnels comme Carême. Et aujourd’hui, j’essaie d’être constructif avec les jeunes dessinateurs avec qui je peux travailler, mettant l’accent sur les qualités et non les défauts et évitant surtout de leur faire porter le chapeau en cas d’échec. Je prends toujours les échecs sur moi, c’est comme cela que l’on peut se remettre en question.
Puisque j’évoquais Eric Corbeyran, après une période où nous nous sommes perdus de vue, nous nous sommes retrouvés lors d’un festival et après quelques échanges nous sommes rendus compte que nous avions tous les deux l’envie de retravailler ensemble, cela va bientôt se concrétiser avec un diptyque intitulé Doppelgänger. Je crois que nous avions envie de voir ce que pouvait donner notre duo avec l’expérience en plus. J’espère une sortie du tome 1 au second semestre 2010.
Pour revenir à l’Heroïc Fantasy, je m’étais juré de ne plus jamais en faire. Adolescent, j’étais pourtant fan de jeux de rôles, de Thorgal et de Robert E. Howard (beaucoup moins de Tolkien, même si j’ai adoré la trilogie cinéma de Peter Jackson). Et puis il y a peu, j’ai eu cette envie d’écrire quelque chose pour l’adolescent que j’étais, et ça a donné Ténèbres.

BDE : Quels sont pour toi les attraits et les écueils du genre ?
CB : Je ne sais pas, je ne connais pas forcément bien le genre. Ténèbres n’est justement pas fait pour les amateurs et les connaisseurs de ce genre, je pense qu’ils n’y trouveront qu’une accumulation de choses qu’il ont déjà vu ou lu mille fois, des poncifs. J’ai écrit Ténèbres pour des adolescents qui n’ont à la limite jamais lu d’HF. Je voulais revenir de façon complètement décomplexée à des choses très basiques comme dans Thorgal, des sentiments simples mais forts. Comme je n’ai pas un grand respect du genre, ça ne m’a finalement pas dérangé d’enfoncer des portes ouvertes. Je dirais même que le genre en lui même n’est balisé que par des stéréotypes, même si des auteurs de talent parviennent ponctuellement à s’en affranchir et à livrer une œuvre originale, comme dans la BD Le Feul que j’ai lu récemment et qui est en tous points remarquable. Mais je pense que c’est relativement rare et exceptionnel.

BDE : Comment as-tu été amené à découvrir Iko ?
CB : En fait, je l’ai découvert en cherchant un repreneur pour la série Bunker. J’ai commandé des dizaines de fumetti par Internet, il n’y a qu’en Italie où il y ait un grand réservoir de très bons dessinateurs réalistes, le vrai bon dessin réaliste se perd en France, trop exigeant dans les bases à acquérir. C’est comme cela que j’ai découvert Nicola Genzianella qui a repris avec talent Bunker. Iko (qui est un pseudonyme) est assez connu en Italie sous son vrai nom, mais en France son travail avait toujours été refusé par les éditeurs, sans que je ne comprenne trop pourquoi. Pour ma part, j’ai vu instantanément qu’il avait un talent énorme et qu’il serait le dessinateur idéal pour Ténèbres. C’est un dessinateur à qui il faut donner de la matière, des choses extraordinaires à dessiner, car c’est un dessinateur hors normes. J’espère un jour qu’il y aura une édition noir et blanc de l’album (c’est comme cela qu’il faut voir ses planches !) pour que l’on voie vraiment le travail de fou qu’il y a sur ses pages.

BDE : Gères-tu différemment un scénario écrit pour toi ou écrit pour un autre ?
CB : Je le gère très différemment, bien entendu. Je suis obligé d’être beaucoup plus précis dans mes descriptions lorsque je travaille avec un dessinateur. Et dans ce cas, j’écris la plupart du temps le scénario entièrement à l’avance et complètement découpé. Sur Prométhée, scénario et dessin s’entremêlent. Si j’ai une trame clairement posée, l’écriture des dialogues et la réalisation des dessins se font simultanément le plus souvent, j’adapte l’un à l’autre, cela offre un confort que l’on ne peut pas retrouver dans une collaboration. Être auteur complet offre des possibilités plus larges. Mais j’aime également me confronter à des collaborateurs, être « trahi » ou les « trahir » dans le bon sens du terme. Il n’y a qu’avec Stefano Raffaele (Pandémonium et Sarah) que j’ai trouvé mon parfait alter ego, j’ai parfois le sentiment qu’il est dans ma tête, tant il parvient à concrétiser sur la page ce que j’ai en tête !

« La collection Hanté est définitivement terminée aujourd’hui… »

BDE : Avec Prométhée justement, tu revenais au dessin. Cela t’avait-il manqué ou prends-tu plus de plaisir à écrire une histoire qu’à la mettre en image ?
CB : Effectivement, j’ai repris après une pause de 2 ans et demi. Ce n’était pas un problème de « feu sacré » comme je l’ai parfois lu et qui est une analyse parfaitement idiote, mais bien au contraire de lucidité, je pense, vis à vis de mon travail. J’aurais voulu être un dessinateur de la trempe de Victor de la Fuente, de Jordi Bernet ou de Alfonso Font quand j’étais jeune, je me suis ensuite rendu compte que j’étais à cent mille lieues de posséder leur talent, je me suis donc contenté de mettre au point un style de dessin où je poussais mes qualités et essayais au mieux de gommer les (trop) nombreux défauts ou les nombreuses lacunes. Mais au final, cela ne pouvait me satisfaire. D’où cette crise artistique et la décision de lâcher le dessin car je vivais trop mal avec lui. Ces deux ans et demi d’arrêt m’ont permis de mieux accepter ce dessin que je n’aime pas. Je ne l’aime pas plus aujourd’hui, mais je vis mieux avec. Disons plutôt que je fais avec, je n’ai pas d’autres choix. Ensuite, des problèmes plus pragmatiques m’ont poussé à le reprendre plus tôt que je l’envisageais, mais sans que je n’ai à le regretter au final. J’ai connu dans ma (plus tout à fait) jeune carrière – 15 ans – des vrais hauts (le succès de Sanctuaire par exemple) et des vrais bas (la collaboration avec Ramaïoli, les problèmes des Humanos, des échecs avec des séries, des coups bas, etc.) et il faut justement avoir le feu sacré pour continuer à avancer, coûte que coûte. Et puis on finit par faire les bonnes rencontres, et ça, ça compte beaucoup, que ce soit avec des auteurs ou des éditeurs.

BDE : Tant de séries (réussies) en parallèle… Certains projets remontent-ils à longtemps ? D’autres sont-ils déjà en développement ?
CB : Cela fait deux ans que je n’ai pas développé de nouvelles séries. Certaines vont sortir dans les mois qui viennent, mais elles ont donc été écrites il y a plus de deux ans. Prométhée prend 80% de mon temps, et c’est sur cette série que je mets en priorité ma concentration et mon énergie. Et je ne suis pas comme certains scénaristes, je ne recycle pas les vieux projets que j’ai écrit à l’adolescence. Donc non, il n’y a pas dans mes projets futurs de scénarios qui remontent à longtemps avant.

BDE : Entre deux séances d’écriture, es-tu en constante recherche d’idées ? Qu’est-ce qui t’inspire généralement ?
CB : Il n’y a rien de précis qui m’inspire. Pour moi, l’inspiration, ça n’existe pas ! C’est un mythe du grand public. L’inspiration ce n’est que ce que l’on accumule dans son vécu, ses lectures, les films et les peintures que l’on voit, etc, et que l’on est capable de ressortir de façon cohérente, de façon plus ou moins consciente d’ailleurs.

BDE : Plus d’un après son lancement, comment juges-tu la collection Hanté ? Es-tu satisfait des parutions ?
CB : Je suis assez satisfait des livres en eux-mêmes, je pense que les auteurs ont donné le meilleur d’eux-mêmes, mais je ne peux pas être satisfait de façon globale, la collection n’a malheureusement pas trouvé son public.

BDE : Où en est la série collective, restée au tome 1 ?
CB : Un second collectif est toujours prévu, mais ne sortira pas sous la bannière de la collection Hanté, qui est définitivement terminée aujourd’hui avec la parution du cinquième tome, Les Chemins de Vadstena.

BDE : Mauvaise nouvelle. Mais merci beaucoup d’avoir répondu !

Propos recueillis par Arnaud Gueury.

Interview réalisée le 27 septembre 2009.

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