Georges Grard n’est pas un éditeur comme les autres, en tout cas comme peu d’autres. En effet, cet homme est passionné par la BD et sa maison d’édition au point qu’on le retrouve deux week-ends sur trois en festival. Une chose est sûre, il a du bagout et un sens prononcé pour les jeux de mots. Rencontre avec un homme qui a de nombreux talents, car en plus d’être éditeur, Georges Grard, également connu sous le pseudo Geg, est scénariste de plusieurs séries (Léo et Lu, La Bande à Ed…) et gratifie même les albums de dédicaces dessinées.
Retrouvez la chronique du Tome 1 de Léo et Lu ainsi que le site de Grrr…Art Editions.
Retrouvez les couvertures des principales séries des éditions Grrr…Art à la fin de l’interview
Bulle d’Encre : Pouvez-vous nous présenter votre maison d’édition ? Celle-ci a la particularité de ne pas éditer que des BD.
Georges Grard : Notre slogan « Grrr…Art Editions, l’éditeur qui met du cœur à l’ouvrage… » résume bien notre structure. Nous avons publié 55 livres en dix ans (jeunesse, humour, roman, poésie et BD dans une proportion égale). La diversification était un parti pris de départ. Nous ne voulions pas être cantonnés dans un domaine. Nous voulions proposer une palette assez complète aux lecteurs. De plus, à titre personnel, j’aime faire le grand écart littéraire quand j’écris et quand je lis !
BDE : A la base, vous êtes instituteur, dorénavant vous allez vous consacrer complètement à votre activité d’éditeur, est-ce un rêve qui se réalise ?
GG : Jusqu’en juin prochain, je suis toujours un instit’auteur ! Après 28 ans de bons et loyaux services, je stoppe la machine pour me consacrer uniquement à Grrr…Art Editions. En 1999, j’ai monté la boîte avec mon père sur un coup de tête et un projet, L’Alphabet des métiers farfelus. L’ambition était de perdurer mais pas nécessairement d’en vivre. Il s’avère qu’avec les succès de Léo et Lu (plus de 50 000 albums vendus), de La Bande à Ed (30 000 albums vendus), des romans de Olivier Démoulin ou des livres petite enfance de Pascale Pavy, notre trésorerie est saine. Je ne sais pas s’il faut parler de rêve… Mon rêve était d’être joueur de foot professionnel ou Géronimo. Ecrivain peut-être… mais certainement pas éditeur.
BDE : Vous êtes présent sur de nombreux festivals tout au long de l’année (combien de festivals annuels ?). N’est-ce pas contraignant à la longue et n’ambitionnez-vous pas de vous faire distribuer dans toutes les librairies BD à terme ?
GG: Nous faisons une trentaine de manifestations par an. J’éprouve toujours autant de plaisir à rencontrer mes lecteurs (j’essaie même de le faire partager à mes auteurs !). Si un jour, je perds mon envie, mon énergie ou que je suis malade, nous serions en difficulté. Par chance, internet permet un relais de ventes directes mais rien ne remplace le terrain. Aujourd’hui, la diffusion-distribution est une galère pour un éditeur indépendant. Nous sommes diffusés et distribués (G-DIL et Le Comptoir du livre de Toulouse, après avoir travaillé avec un ou deux escrocs – nous avons les noms à votre disposition !) mais, hors Hachette et Editis qui représentent près de 80 % du marché, il est difficile d’exister en librairie. Ces gros bras de l’édition noient les libraires d’offices – leurs nouveautés qu’ils envoient systématiquement à des libraires qui n’en font même pas la commande. Comment voulez-vous qu’après on puisse être présent dans les rayons ? Les libraires n’ont pas des murs extensibles… Et certains d’entre eux ne sont que des marchands de papier qui se complaisent très bien de ce système. Il y a aujourd’hui l’autoroute de la culture et les chemins de traverse. Comme dans le domaine musical… Pour un jeune qui débute, si il ne veut pas participer aux « Star Academy » and co, il a intérêt de monter sur scène, de trouver un public local, de l’étoffer, de le fidéliser et de tourner encore et encore ! Il faut être sur le terrain ! Nécessité commerciale et priorité culturelle ! Les gens veulent et ont besoin du vrai, du bon, pas du pré-mâché qu’on leur impose !
BDE : On connaît votre série Léo et Lu qui a déjà cinq albums au compteur mais vous avez également lancé en tant qu’éditeur, et encore une fois en tant que scénariste, une série dont le héros est handicapé. Y a-t-il une raison particulière, un effet déclencheur qui est à l’origine du personnage de Ed ?
GG : J’ai eu un enfant handicapé moteur dans ma classe qui m’a dit « On parle beaucoup de nous mais on nous montre jamais ! » Dans la BD, il y a très peu de héros handicapés et dans la bd familiale, leur présence était quasi nulle. Ed est né de cette envie de parler et de montrer les problématiques des handicapés. Je dis « des » parce que la bande est constituée de Chang, mal voyant, de Tommy qui est « décalé », de Gad, de petite taille, de Sam qui est obèse, de Ed, handicapé moteur et de sa nana…moureuse Katty, une jolie valide. La BD parle et montre les différences et le « vivre ensemble » est ce qui fait sa force et son succès. Il n’y a pas de pathos ni de sensiblerie, c’est une bande enjouée, espiègle et qui sait se révolter face à la bêtise et aux défis de la vie. La Bande à Ed n’existe que parce que il y a eu Léo et Lu avant… Nous sommes très complices avec Jak !
BDE : Vous avez reçu des prix avec La Bande à Ed, quels ont été les retours des lecteurs ? Avez-vous eu des retours de la part d’enfants handicapés par exemple ?
GG : Le monde du Handicap nous a récompensés en nous remettant le Prix Handi-livre du meilleur livre jeunesse (une première pour une BD !). Nous sommes fiers de ce prix, Jak et moi, car il valide notre démarche. Pour ce qui est des retours de lecteurs (valides comme handicapés), c’est de la folie. Pour les uns, c’est « Ouais, ce sont les copains qu’on aimerait avoir ! » Pour les autres « Enfin, des héros qui nous ressemblent ! » Il y a eu de belles histoires et de belles rencontres autour de Ed et sa bande, et ce n’est pas fini. On en est qu’au début de l’aventure. Nos petits bonshommes méritent encore mieux (un dessin animé assurément) !
BDE : Une de vos séries était à l’honneur à Angoulême puisque Koulou présentait sa série Le Monde de Titus à la cathédrale ainsi qu’à l’église Saint-Martial. C’est plutôt valorisant ce genre d’invitation, non ?
GG : Il faut savoir que le festival d’Angoulême est le pire des festivals pour un indépendant. Que les organisateurs n’ont aucun respect pour nous comme pour le public. Il suffit de voir les prix des stands prohibitifs, les prix décernés qui relèvent du copinage et du gag parfois (cette année, le prix jeunesse a quand même été attribué à Sfar pour Le Petit Prince, on ne rit pas !!!) et les prix d’entrée des visiteurs (de l’ordre de 16€ !!!). Koulou a donc fait jouer le système D pour montrer son travail. Ce qui est valorisant pour un auteur n’est pas d’être à Angoulême mais de pouvoir rencontrer un public et lui présenter son ou ses « enfants » ! Le Monde de Titus est un coup de cœur et nous faisons un vrai travail de terrain pour l’installer durablement dans le paysage. En confidence, Koulou peaufine le tome 2 !
BDE : Quels sont les projets de Grrr…Art Editions pour 2009 ?
GG : Pour 2009, nous sortons deux ouvrages de poésie : Rencontre(s) et Bête(s), trois livres jeunesse : Zip et Wouap, Devant moi et Ce qu’il faut TERRE, des romans (3-4) et bien sûr des BD, Touba… L’Homme ne descend pas du sage, Les Cheminotes, Les 40 plus grandes qualités des femmes, Foot et moi… Dehors !, TV…nère et le tome 2 du Monde de Titus. Plus une ou deux autres surprises !
BDE : Sur quel festival pourrons-nous vous retrouver ?
GG : De nombreux comme Bruxelles, Montargis, Vitré, Saint-Louis, Sartrouville… Et le Festival Inter-celtique de Lorient, début août. Mais toute notre actualité est sur notre site. Nous remercions d’ailleurs les organisateurs de festivals (pas ceux d’Angoulême et de Paris, vous l’aurez compris !). C’est grâce à eux que la biblio-diversité peut exister et c’est elle qui est la source d’un avenir culturel ici et ailleurs !
BDE : Merci à vous !!!
Propos recueillis par Nicolas Vadeau
Interview réalisée le 8 mars 2009.
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