Rencontre avec Gil Formosa – Dessinateur de Double Gauche

« J’ai l’intime conviction qu’on peut tirer quelque chose de grandiose de ta seconde main gauche! Je suis persuadée que je peux t’ouvrir les portes d’un avenir tel que tu n’en as jamais rêvé! Tu as un immense pouvoir, petit, mais je pense qu’on peut encore l’améliorer! »

Entré dans le monde de la BD en tant qu’assistant de Morris, où il découvre aussi l’animation en adaptant Lucky Luke en dessin-animé, Gil Formosa fait partie des précurseurs de l’heroic-fantasy en illustrant la série Légendes du Chevalier Cargal de 1982 à 1989. Parallèlement, il participera à de nombreuses campagnes publicitaires marquantes, des projets cinéma (affiche, design), des couvertures de romans et de comics… Ayant utilisé tous les supports et toutes les techniques, il revient à la BD en 2003 avec l’excellente série Robur (scénario de Jean-Marc et Randy Lofficier, aux éditions Albin Michel) puis avec Double Gauche. Bulle d’Encre a interviewé pour vous cet illustrateur surdoué.

Chronique du Tome 2

Retrouvez des extraits de l’album à la fin de l’interview.

Bulle d’Encre : Le deuxième tome de Double Gauche vient de paraître. Quels sont les principaux changements par rapport au précédent ?
Gil Formosa : L’un des principaux changements, c’est que nous allons découvrir Dustin à l’age adulte et comprendre les raisons qui l’ont poussé à changer son regard sur le monde. Il va prendre sa vie en main, ne plus subir, mais décider de ses choix avec toutes les conséquences qui s’en suivent !

BDE : Eric Corbeyran est presque aussi éclectique dans ses scénarii que tu l’es toi-même dans tes illustrations. Ce point commun vous a-t-il rapproché ?
GF : Effectivement, il est très éclectique dans ses thèmes, c’est l’une de ses grandes qualités que j’apprécie particulièrement. Ça tombait bien, j’aime de mon côté changer de style de dessin, et trouver le dessin le plus approprié à l’histoire. Collaborer avec un auteur implique une grande complicité.

BDE : Comment s’est passée votre rencontre ?
GF : Oh simplement ! Un jour j’ai décroché mon téléphone et j’ai fait sa connaissance. Le courant est tout de suite passé, on s’est rencontré plus tard et nous avons évoqué un projet : Double Gauche.

BDE : Dans Double Gauche, les personnages sont aussi développés que l’action. Est-ce un plaisir pour toi que de pouvoir développer ces deux aspects ?
GF : En ce qui me concerne, les personnages sont plus importants que l’action. Ce qui me séduit le plus, c’est le caractère des personnages et leurs interactions. Après, l’action est là pour mettre en valeur leurs tempéraments. Plus nos héros ont de personnalité, plus forte sera l’histoire. Avec Double Gauche, je suis bien servi : humanité des personnages et rythme de l’action…

BDE : Le monde dans lequel vit Dustin est un mélange entre notre époque et les années 20 ou 30, avec un aspect plus impressionniste que réaliste. Quels ont été les éléments que tu as voulu mettre en valeur et quelles sont tes références ?
GF : Je retiens le mot impressionniste qui colle bien me semble-t-il avec ce que j’ai voulu faire. Mais notre série reste contemporaine, dans une ville imaginaire, même si souvent il y a un côté Art Déco. Laisser une impression, un sentiment particulier, c’est là le principe du style de dessin que j’ai adopté pour illustrer Double Gauche. Quant à l’époque, chacun la sent différemment. Finalement, l’imaginaire du lecteur fait le reste. Et puis une BD, c’est avant tout raconter une histoire et non pas une succession de belles illustrations qui n’auraient pas une réelle cohérence entre elles. Donc, trouver le plan efficace plutôt que l’effet facile. Ce qui compte, c’est de faire naître dans l’esprit du lecteur l’image qui n’est pas dessinée ! En BD, il faut également maîtriser le découpage, savoir raconter une histoire, en définitive mettre en scène. La BD exige une réelle discipline et de la rigueur dans son travail et beaucoup de patience. Il faut de longs mois avant de voir le résultat en album.

BDE : La présentation de l’histoire est très audacieuse. On découvre Dustin riche et prétentieux à chaque début d’album puis on suit les tragiques événements de sa jeunesse. Etait-ce un choix dès le début du projet ?
GF : Oui, c’est un choix que nous avons adopté dès le début de notre collaboration sur cette série. Comment un homme peut complètement dériver de sa vraie nature est l’un des thèmes de notre série. Nous abordons aussi les thèmes de la différence et des choix qu’il nous faut faire.

BDE : Comment es-tu parvenu à mettre autant d’humanité dans des personnages monstrueux ou différents comme les gens du cirque ou Tête-de-clou ?

GF : Merci, cela fait plaisir de voir que mes intentions ont été comprises ! C’est avant tout une question d’expressions et d’attitudes qui humanisent les « monstres » qui en fait n’ont de monstres que l’apparence. Finalement, les plus monstrueux sont ceux qui se cachent sous le masque de la cupidité avec un grand sourire.

BDE : Les femmes comme les hommes ont un regard très dur mais chaque apparition de Mimsy apporte un moment de grâce. As-tu travaillé différemment pour elle ?

GF : Non, pas spécialement, le tout est de bien rendre le caractère du personnage… Si l’on comprend bien la psychologie d’un personnage, il est plus facile de le dessiner, de lui donner vie ! On peut rendre le même personnage sympathique ou antipathique suivant ses expressions, ses attitudes. Mimsy est une sorte d’ange…

BDE : La deuxième main gauche de Dustin a du te poser quelques soucis graphiques, d’autant qu’elle attire forcément l’œil du lecteur ?
GF : Oh la, c’est peu de le dire ! Au début je me suis dit : « Dans quelle galère je m’embarque ?! ». Il a fallu aller contre nature (on passe tellement de temps à essayer de dessiner correctement !) et à chaque fois réfléchir comment dessiner cette deuxième main gauche. Et puis petit à petit cette deuxième main gauche est devenu un personnage à part entière.

BDE : Le prochain tome, Mimsy, sera le dernier de la trilogie. Peut-on espérer un avenir plus heureux pour Dustin ?
GF : Là, je ne vendrai pas la peau de l’ours !!!

BDE : Tu as créé les personnages des Totally Spies, un dessin-animé dont le succès est international. Est-ce un domaine qui t’attire particulièrement ?

GF : Ce qui m’attire ce sont les expériences artistiques. Quand j’ai eu l’opportunité d’entrer dans l’animation, je l’ai saisie. J’ai bossé quelques années dans cet univers, et de voir bouger ses personnages est une belle récompense. L’animation est un tout autre monde que la BD, avec d’autres règles, d’autres impératifs techniques, d’autres enjeux économiques. Mais le travail reste le même, il faut que le dessin ou l’illustration corresponde à la demande. N’oublions pas que c’est souvent un travail de commande, même si l’interprétation de cette commande reste personnelle. Travailler avec ces contraintes est un excellent exercice, il faut prendre le point de vue des producteurs, ce qui implique de chercher et trouver des solutions auxquelles on ne pense pas au premier abord. Plus tard, je suis passé de character designer à la fonction de directeur artistique, et puis à celle de réalisateur de film d’animation publicitaire et de vidéo-clips. Tout ceci est un travail d’équipe avec son lot de concessions, mais aussi d’échanges fructueux.

BDE : Tu travailles par ailleurs pour le cinéma, sur des couvertures de romans ou des publicités. Est-ce que ce sont des espaces qui te permettent des expérimentations graphiques que tu peux utiliser après en BD ?

GF : Ce sont toujours les rencontres et les problèmes à résoudre qui font avancer les choses. Lorsqu’on travaille dans d’autres univers que la BD, on en tire forcément quelque chose. On peut expérimenter des techniques différentes et échanger avec d’autres professionnels. Par exemple, je me suis mis à la 3D pour réaliser des vidéo-clips pour M6, et plus tard j’ai utilisé mes connaissances pour Robur. Quant aux couvertures de romans, ce qui est passionnant, c’est de mettre en image un passage de l’histoire ou d’essayer de synthétiser le roman, après en avoir discuté avec le romancier si possible. L’illustration publicitaire est avant tout un travail de commande. L’important est de bien comprendre ce que demande le client ou le directeur artistique et d’y répondre le mieux possible et même d’aller au-delà de ses espérances. Lorsqu’il me dit : « c’est ça que je voyais », j’en retire une immense satisfaction !

BDE : Quels sont les avantages de chacun de ces supports ?
GF : De travailler avec des gens différents, des contraintes différentes, des délais différents, des techniques différentes, enfin bref, tout est assez différent. D’autant plus qu’il faut tenir compte du point de vue de chacun, et mettre son ego de côté est un excellent exercice ! Pour moi, c’est un exercice de style à chaque fois, et cela me donne l’opportunité d’essayer de nouvelles choses et de les voir se réaliser. En tous cas, une chose est sûre, rien n’est plus difficile que de créer une BD !

BDE : Sur quelle série aurais-tu rêvé de travailler ?

GF : Le Surfeur d’Argent !

BDE : Quels sont tes projets, une autre bande-dessinée ? Quel domaine ou quel genre manque à ton CV ?
GF : J’ai en préparation plusieurs projets, dont une nouvelle série, mais il est encore trop tôt pour en parler !

BDE : Merci à toi.

Propos recueillis par Arnaud Gueury.

Interview réalisée le 8 juillet 2007.

Retrouvez plus d’infos sur les travaux de Gil Formosa sur son site et son blog.

© Dargaud 2007/Corbeyran/Formosa
Toutes les images sont la propriété de leurs auteurs et ne peuvent être utilisées sans leur accord.